Le nouveau visage des noubas ancestrales

     
     
 

Il n'est pas fréquent de converser avec une personne qui écoute si bien. Car Beihdja Rahal n'interrompt pas son interlocuteur, elle le laisse aller au bout de sa phrase, le regard très ferme soutenant cette écoute attentive. Puis, quand vient son tour, elle affirme, elle commente, elle argumente. Beihdja Rahal, c'est avant tout une intense présence et une forte détermination. Elle est musicienne, d'où sa capacité d'écoute.

Beihdja Rahal pratique l'art savant de la musique arabo-andalouse qu'elle chante en s'accompagnant de la Kwitra, luth typiquement algérien. Dans un univers encore très largement occupé par les hommes, elle s'est fait un nom, d'où sa détermination. Sa voix est aérienne, gracieuse, sans emphase, avec une transparence parfois légèrement voilée qui la rend très émouvante ; Lorsqu'on l'écoute, on s'imagine dans les jardins de Grenade ou de Séville, aux temps glorieux qui virent naitre et prospérer les noubas, poésies chantées que Beihdja Rahal a décidé de reprendre, faire connaître, transmettre.

Elle nait à Alger dans une famille où les 9 enfants vont au conservatoire de musique. A la maison, il y a un piano sur lequel tout le monde joue. Parce que l'enfant souhaite avoir son propre instrument, elle choisit la mandoline : « ce choix fut un hasard et la musique n'était qu'un amusement, rien de plus » précise-t-elle, dans une coquetterie modeste que seuls peuvent se permettre ceux qui sont reconnus dans leur art. « Par contre, les études, c'était sacré. Un bon bulletin de note, c'était indispensable. Un diplôme, obligatoire ».

Beihdja Rahal finit donc ses études de biologie et se met à enseigner, tout en continuant son apprentissage musical au sein d'associations, El-Fakhardjia puis Essoundoussia. En 1992, elle décide de venir vivre en France, « A Paris, tout a changé. Je me suis dit : pourquoi ne pas essayer de devenir musicienne professionnelle ? Loin du pays, la nostalgie s'était installée et ma passion m'a permise de ne pas trop m'éloigner de mon pays. Et puis, il faut dire qu'en Algérie, on ne peut que difficilement vivre de son art ». car la dame est sans concessions : pas question, pour elle, de modifier, d'une note, l'art séculaire des noubas pour agrémenter les soirées de mariage en rajoutant un synthé ou une guitare électrique. C'est une pure. « Je ne veux pas m'adapter au public. Je veux partager la qualité et le respect de notre culture. La musique arabo-andalouse est notre patrimoine, j'en suis fière ».

Les noubas furent créées au IXe siècle par le grand savant et poète Zyriab, chassé de Bagdad, qui trouva refuge en Andalousie où son art s'épanouit. La légende veut qu'il compose 24 noubas, une pour chaque heure du jour et de la nuit. Aujourd'hui, on en connaît 12, transmises oralement de génération en génération. Beihdja Rahal est une des héritières du grand maître. Elle fonde son propre orchestre 'El Beihdja', une formation de chambre et casse ainsi la lourdeur des grands ensembles qui jouent à l'unisson. En 1995, Beihdja Rahal sort 'Nouba Zidane', premier enregistrement intégral d'une nouba interprétée par une voix féminine.

Aujourd'hui, elle est à son 18è album. L'artiste est donc bel et bien reconnue. Pourtant, la femme, elle, doit combattre pour s'imposer. Les préjugés ont la peau dure, Beihdja Rahal aussi ! Dans le Maghreb contemporain, l'interprétation des noubas est essentiellement réservée aux hommes, et la place de la femme encore plus souvent domestique : « En Algérie, avant chaque concert, lorsqu'on fait la balance des instruments, les techniciens testent tous les musiciens du groupe et moi, toujours ils m'ignorent ! C'est pourtant moi la chef d'orchestre ! »

Comme chaque artiste, elle se doit d'être à la fois humble et ambitieuse : fidèle à la tradition, et toujours à la recherche de nouveaux mouvements qui seraient encore inconnus à ce jour. « J'essaie de ne rien changer à ce qui m'a été enseigné, transmis. Mais la musique est comme la nature. Au fil du temps, l'érosion fait son œuvre. Alors, le paysage change ». Sa voix est aérienne, comme le vent qui fait son œuvre, elle offre un nouveau paysage sur les noubas ancestrales.

Prochains concerts:
Le 5 février 2010 à l'Institut du Monde Arabe, Paris
Le 26 mars 2010 au Centre Culturel Algérien, Paris.

 

Anne Morin
"AIGLE AZUR MAGAZINE" revue de bord Aigle Azur, automne 2009