Le piratage est un danger pour la culture algérienne

     
     
 

De quelle école est sortie Beihdja Rahal, et quels sont vos principaux maîtres et idoles ?

Je suis rentrée au conservatoire de mon quartier à El Biar en 1974. J'ai fait du solfège et appris l'andalou chez Zoubir Kakachi puis Mohamed Khaznadji. En 1982, j'ai rejoins l'association El Fakhardjia, quand le maître Abderrezak Fakhardji était encore vivant. En 1986, j'ai fait partie des membres fondateurs de l'association Essoundoussia. Je ne l'ai quitté qu'après mon départ en France en 1992.

 

Parlez nous de votre attachement à la mandoline et la Kouitra ?

C'est les deux instruments que je maitrise le mieux puisque je me suis spécialisée dans le jeu de la mandoline et de la kouitra. La kouitra m'accompagne sur scène. C'est à la mandoline que je donne tous mes cours de chant et de musique à Paris.

 

Vous étiez l'une des premiers - si ce n'est pas la toute première - artiste algérienne à penser a internent comme moyen de promotion a travers votre site officiel, que pouvez-vous nous dire sur cette expérience ?

Internet est un moyen supplémentaire pour informer le public sur mon actualité ou les spectacles à venir. Ça me permet de diffuser le travail que j'ai effectué jusqu'à présent. N'importe quelle personne dans le monde peut consulter mon site, découvrir ma musique, mon travail… C'est grâce à internet que j'ai eu l'occasion d'être programmée dans certains festivals en Europe.

 

A Alger, on trouve souvent des versions piratées de vos disques, pensez vous que ce phénomène - aussi néfaste qu'il est - est un signe de popularité, et donc une raison de fierté pour l'artiste piraté ?

C'est vrai que c'est un signe de popularité et j'en suis ravie. Mais c'est très néfaste pour la culture, pour l'art et pour l'artiste algérien. Le piratage ne rend pas service à la culture ni au patrimoine national. Les algériens devraient prendre conscience que pour aider l'art et l'artiste à produire plus, il faut respecter sa production.

 

Il y'a quelques années, courrait sur la radio algérienne des rumeurs sur des collaborations qui devait vous réunir avec Madonna ou encore George Michel, ce sont la des projets avortés ou juste des plaisanteries ?

J'étais invitée dans une émission en direct à la chaine 3. L'animateur, sans me prévenir, a lancé cette plaisanterie, j'ai confirmé en donnant des détails comme quoi c'était un projet qu'il allait aboutir une année après. Ce n'était qu'un canular.

 

Quelle est la différence entre le public algérien local, et le public étranger ?

Le public algérien suit mon travail et mes nouveautés pas à pas et au détail près. Il est au courant de tout ce que je fais et est toujours fidèle à tous mes concerts. Je n'arrête pas de le remercier car c'est ce qui m'encourage à continuer dans cette voie et à doubler d'efforts. J'adore entendre un youyou au milieu d'un concert en Algérie, chose très rare en Europe. Le public étranger vient découvrir une musique classique ou traditionnelle qu'il ne connaît pas. A la fin du concert, il vous montre sa satisfaction quand ça lui plait et il revient. Je ne vais pas quand même dire que je suis aussi connue en Europe qu'en Algérie.

 

Sincèrement, en tant que présentatrice de la musique traditionnelle, n'avez-vous jamais été jalouse du succès populaire en Algérie des autres styles commerciaux (rai, oriental ou même occidental) ?

Pas du tout. Les musiques d'ambiances ou rythmées ont un temps d'existence limité. Elles sont appelées à disparaitre car ce sont des musiques de jeunes qui sont en éternelles modifications. Quand je vois qu'avec mes 19 albums mon éditeur me dit toujours que ça marche, ça prouve qu'il n'y a aucun danger. Les musiques classiques et traditionnelles ont traversé des siècles, ça va continuer.

 

On connaît le succès de vos concerts à l'étranger, mais pensez-vous que l'andalou a des chances de conquérir le large publique européen, a la manière du rai ?

Oui, il a des chances. Il suffit de tomber sur la bonne personne qui décidera de miser très fort sur ce genre musical et de le faire passer dans les grandes chaines de télévisions et radios européennes.

 

La musique française des années 2000 à été marqué par le phénomène des comédies musicales, imaginez vous la musique andalouse dans cette forme artistique ?

Oui pourquoi pas. Mais ce n'est pas moi qui vais le faire pour le moment. C'est une musique où la poésie a une place de choix, je pense que le public doit se concentrer sur la musique, la voix, la poésie… je ne souhaite pas détourner son attention sur de la danse, de la chorégraphie ou un spectacle.

 

On parle toujours de la musique andalouse comme limité par un nombre précis de noubas, n'y a-t-il vraiment aucune possibilité qu'on y ajoute de nouvelles compositions ?

si on parle d'un patrimoine qui existe depuis des siècles, on reste interprète et c'est tout. On parle de la 9 ème symphonie de Beethoven « inachevée », on ne va jamais essayer de la compléter. Elle restera comme ça. C'est pareil pour l'andalou. On veut créer, on peut le faire mais ça ne fera jamais partie des noubas qui nous sont parvenues depuis le 14 ème siècle.

 

Trouvez-vous que les medias font assez de promotion pour les événements culturels concernant l'art traditionnel et authentique ?

Depuis les débuts des années 2000, les médias commencent à s'intéresser de plus en plus aux évènements d'art traditionnel et authentique, c'est une très bonne chose. Avant ça, il était très rare de tomber sur une émission télévisée parlant de musiques du sud algérien ou chaoui et même sur un article de presse.

 

On reproche souvent au show-biz algérien d'être ingrat et mal organisé, mais le system culturel occidental est-il vraiment parfait ?

Le système occidental n'est certainement pas un exemple à suivre à 100% mais on peut dire qu'il reconnaît au moins ses artistes puisque le statut existe. Je lis souvent dans la presse algérienne que c'est en cours mais tant que l'artiste algérien n'est pas protégé du point de vu administratif, il a peur d'avancer, de créer ou de se donner complètement à son art. Il est obligé d'avoir un travail à côté pour survivre.

 

Comment voyez-vous le rapport de la jeunesse algérienne au patrimoine culturel ?

Les jeunes s'intéressent de plus en plus à leur patrimoine. Je suis toujours ravie d'être abordée par un groupe de jeunes dans la rue qui me dit qu'il est fan, qu'il a la majorité de mes albums et qu'il suit mon parcours. Je reçois tous les jours des messages par internet de jeunes algériens qui n'écoutaient pas l'andalou et qui se sont intéressés depuis 3 ou 4 ans.

 

Enormément de gens considèrent la musique andalouse comme liée aux occasions religieuses, comment faire pour vulgariser ce genre musical et le rendre plus quotidien ?

On assiste de plus en plus à des concerts de musique andalouse toute l'année et dans toutes les salles algéroises. Ça devrait être de plus en plus courant dans d'autres villes éloignées. Concernant la télévision, je pense qu'il y a une gros effort à faire car il est vrai que l'andalou passe plus pendant le Ramadhan par exemple mais c'est très court.

 

Les écoles spécialisées dans la music andalouse, sont-elles assez nombreuses pour transmettre cette richesse aux générations futures ?

Je pense que la musique andalouse n'est plus en danger vu le nombre d'association qui se créé un peu partout sur tout le territoire algérien. Il faut que le but premier de chacune d'elle soit l'initiation et la formation de jeunes qui a leur tour sont la relève de demain.

 

Ces dernières années, on retrouve souvent la musique andalouse remixée a la mode électro-club, que pensez-vous de ces versions qui dérangent certains  conservateurs ?

Ça ne doit pas déranger du moment que les noubas andalouses sont conservées dans leur authenticité par certains interprètes. On peut s'inspirer de telle ou telle musique pour mixer, arranger ou métisser d'autres genres. L'important est de préciser qu'on n'est pas dans le patrimoine andalou pur.

 

En tant que mélomane, qu'est ce que vous écoutez comme musique qui soit complètement éloigné du style andalou. Quelque chose qui pourrait nous étonnez ?

Ce n'est pas un scoop mais j'écoute de tout à condition que ça soit beau et avec des paroles sensées.

 

On reproche souvent a la musique RAI de ne pas être assez « familiale » pourtant l'érotisme est présent dans la musique depuis toujours (et même dans certains classiques du chaabi), comment expliquez-vous cette contradiction ? Et quelle est a votre avis la limite de la sensualité que la musique ne doit pas dépasser ?

Les textes andalous ont été écrits par de grands poètes qui étaient, pour la plupart en même temps, poètes, philosophes, médecins, mathématiciens. Ils avaient un niveau intellectuel très élevé. Ce n'est pas le cas de ce qui se chante maintenant. Il y a certaines chansons qui n'ont ni queue ni tête et aucune morale. Même une chansonnette doit avoir un message à passer.

 

Quels sont les sacrifices et compromis que vous avez du faire pour arriver aujourd'hui a ce succès ?

Il y a eu des années où je n'ai pas eu de vacances pour terminer la préparation d'un enregistrement ou d'un concert. Dans ce genre musical, il faut avoir beaucoup de patience car c'est une musique qui demande beaucoup de travail. La notoriété n'arrive pas après 5 ou 10 ans de formation ou après deux albums édités. Tout le travail que j'ai effectué jusqu'à présent est pour les générations futures. Je souhaite laisser quelque chose avec ma voix et mon empreinte. Si le succès n'est pas au RDV maintenant, il viendra un jour mais je ne suis pas pressée.

 

Quels sont les noubas que Beihdja Rahal projette d'enregistrer ?

Pour le moment je ne sais pas puisqu'avec mes 19 albums qui ne sont que des noubas, j'ai fait un premier tour de 12 noubas et là je suis à la 6 ème nouba de la 2 ème série de 12. Je n'ai pas encore décidé qu'elle sera la prochaine.

 

Que pouvez-vous nous dire sur votre projet concernant la création d'une école de musique hawzi et de la nouba andalouse en France ?

Avec des amis, nous avons créé une association de musique andalouse et non pas de hawzi. Je m'occuperai de former des enfants à la nouba andalouse. Nous avons fait appel à Nacereddine Chaouli pour une classe de hawzi. Cette association porte le nom de « rythmeharmonie ». Sinon, je donne des cours depuis dix ans à l'ELCO (enseignement de la langue et culture d'origine) à des enfants issus de l'immigration. En France aussi, nous avons besoin de former une relève dans ce genre musical.

 

Quelle est la stratégie que vous suivez pour votre carrière ?

Je ne sais pas. Ce que je peux vous dire c'est que je continuerai à travailler et faire de la recherche dans les noubas andalouses.

 

Un dernier mot ?

J'espère que les lecteurs de Akhbar El Ousbou ont appris plus de choses sur la musique andalouse et sur moi à la lecture de cet article.

 

Entretien réalisé par Mustafa Mehdi
"AKHBAR EL OUSBOU" samedi 22 mai 2010