La diva en concert à El Mouggar

     
     
 

Beihdja sur les traces de Massabih

Une fois encore, une fois de plus, comme à chaque fois que l'occasion lui est offerte Beihdja Rahal récidive. La diva de la musique andalouse, n'a pas raté l'occasion, jeudi dernier à la salle El Mouggar, pour emporter son public dans un voyage qu'il ne peut se permettre qu'avec elle. De l'illustre Kortoba à l'authentique Gharnata en passant par la finesse d'Ishbilia, l'Andalousie est visitée et revisitée au gré des Inklabate entamés par des Istikhbârate bifurquant sur les Insirâfate pour aboutir sur les khlâssate.

Des noubate jouées en mode hawzi ou aâroubi mais, dans tous les cas, dans le plus pur style andalou. Un genre que Beihdja Rahal manie avec dextérité. La voix savoureusement sublime accompagnée des notes qu'elle impose avec art à sa kwitra qui s'exécute au bon vouloir des complaintes d'une poésie au verbe sublime rehaussé par la voix de la diva à la « khana »unique. Beihdja Rahal est venue gratifier, non seulement, son public mais aussi tous les mélomanes en leur offrant cette soirée tenue à Alger juste après la sortie de son dernier opus par la signature de sa dix neuvième nouba. Une nouba qu'elle a voulu sur le mode Ghrib.

Puisant dans le patrimoine lyrique andalou, Beihdja Rahal ne cesse de travailler pour sauver de l'oubli les quelques noubate restantes de ce riche répertoire qui malheureusement, au fil du temps s'est évaporé faute de transcription. Intervenant lors d'une conférence de presse qu'elle a tenu lundi dernier à la salle El Mouggar à l'occasion de la sortie de son album, la chanteuse a révélé qu'il lui a fallu sept mois de travail acharné pour parapher cet album contenant une dizaine de chansons mais aussi des exclusivités. L'exécution d'une nouba nécessite beaucoup de concentration et représente le genre qui la passionne le plus, a indiqué Beihdja Rahal. Ajoutant « Il n'est pas facile d'interpréter une nouba car ça nécessite beaucoup de concentration pour le chanteur comme pour les musiciens». Pour l'artiste, les dérivés de la musique andalouse « ne sont pas exposés au risque de disparition comme c'est le cas pour les noubas, dont la moitié s'est perdue avec le temps ».

Beihdja et la sauvegarde du patrimoine

Beihdja Rahal est l'une des premières femmes à avoir pénétrer l'univers andalou, un monde réservé exclusivement aux hommes. Car la musique andalouse, un genre savant, se chantait dans les jardins des princes et non pas dans une arène populaire. Depuis 1995, la chanteuse qui avait entamé en cette date le travail colossal de sauvegarder le patrimoine musical arabo-andalou sous l'oeil vigilant du maître, Ahmed Serri, ne s'est pas arrêtée. La chanteuse a présenté il y a deux ans un album dans le mode Raml. Ce dernier qui entre dans le cadre de l'enregistrement des noubate restantes.

A l'origine, il existait 24 noubate, chacune composée dans un mode défini. Il n'en reste actuellement plus que 11 au Maroc, 16 en Algérie (dont 4 inachevées) et 13 en Tunisie. Chaque nouba correspondait à une heure de la journée et se divisait en une suite de plusieurs pièces de rythmique différente. En général, les mouvements de la nouba s'enchaînent en accélérant progressivement le tempo, jusqu'à la dernière pièce, plus lente, destinée à l'apaisement. Dans l'ordonnancement des parties musicales entrant dans la composition d'une nouba il a d'abord le Prélude, un morceau instrumental, arythmique, annonçant la nouba qui va être jouée et permettant de vérifier l'accord des instruments.

La Touchia , ensuite, qui est ouverture instrumentale, rythmée, construite avec des motifs qui se déroulent et s'enchevêtrent dans un mouvement uniforme (andante) jusqu'à la finale où le mouvement est plus rapide (allegro) pour finir sur un point d'orgue. Elle permet à l'assistance de se tremper dans le bain de la nouba. En troisième position vient le Mceddar, mélodie ample, lente, noble, envoûtante, exécutée en chœur sur un mouvement uniforme (andante) permet à l'esprit de s'élever vers l'abstraction et au cour des émotions peu communes où l'instrumentation s'efface devant le chant pour reprendre après chaque vers. Il y aura ensuite le Btaïhi, mélodie moins lente que le Mceddar (allegro), avec alternance du chœur et de l'instrumentation, laisse ressortir une accélération progressive d'un couplet à l'autre, pur devenir brutalement aussi lent que le Mceddar à la fin de la mélodie.

Celui-ci est suivi par le Derdj, une sorte de complainte chantée en chœur, avec alternance du chant et de l'instrumentation, sur un rythme lent (largo). Vient ensuite l'Inciraf, mélodie avec alternance du chœur et de l'instrumentation, sur un mouvement alerte (scherzando) où les poèmes deviennent plus gais, chantent l'amour, la nature, les oiseaux, les réunions entre amis, etc. pour finir avec le khlass, la nouba touche à sa fin. La série nous a amenés à un mouvement rapide se hâtant vers la conclusion, et c'est le khlass qui apporte cette conclusion. C'est un air au rythme vif (allegro vif) qui va en s'accentuant pour finir sur un point d'orgue.

Zyriab, l'arbitre des élégances

Rappelons que cet art nous le devons à Zyriab, de son vrai nom Abou El Hassane Ali Ben Nafi, qui fuyant Bagdad avec sa femme et son jeune enfant, par crainte de représailles de son maître Issaq El Mocili qui prit ombrage, car le Sultan Haroun Errachid, à qui il fut présenté, était conquis par la voix et l'exécution de cet élève. Après un voyage tourmenté, il passe par le Caire et Kairouan, et arrive en Espagne en 822. Sa réputation de chanteur, d'instrumentaliste et de maître de la musique, l'a déjà précédé à la cour du Roi Abderrahmane II, Emir de L'Emir de Cordoue l'accueille chaleureusement avec tous les égards dus à son génie, le comble de présents et lui alloue une forte pension.

Devenu le conseiller intime de l'Emir, il est chargé du protocole. C'est alors qu'il réforme la vie à la cour, organise les réceptions, et devient l'arbitre des élégances. Sa culture littéraire et scientifique, étonne ceux qui l'approchent. Auteur raffiné, poète de talent, compositeur de musique, il s'occupe de gastronomie. Pour rehausser les prestiges des Omeyades, il invente des menus raffinés, des gâteaux au miel, des pâtisseries inconnues en Orient, et lance des modes vestimentaires tant pour les femmes que pour les hommes. Mais Zyriab est connu surtout pour ses créations musicales et les transformations heureuses apportées à l'instrumentation.

Fabriquant lui-même les luths et ses cordes, il implante une cinquième corde au luth qui ne comptait que quatre cordes. Les cordes étaient frottées par des lamelles de bois qui s'usaient trop vite. Il leur substitue le plectre en plume d'aigle, rendant l'exécution souple, aisée et nette. Tout le répertoire musical en vogue à Bagdad, joué sur des gammes bien déterminées et sans relation entre les morceaux, subit à son tour des transformations, des adaptations. Son esprit créateur, ses rêves, lui inspirent des chants, des compositions multiples constituant ce grand monument des vingt quatre noubas (modes), avec leurs règles et rythmes, qui correspondent aux vingt quatre heures de la journée.

Ainsi la nouba Maya se joue à l'aube, la nouba Ghrib à 10 heures du matin, suivie de celle de Sika, la nouba Zidane au début de l'après-midi, la nouba Raml au coucher du soleil, suivie de celle de Raml El Maya n du Hassine et du Araq. Les noubas Medjenba, Dil et Rasd Eddil se jouent du milieu de la nuit jusqu'à l'approche de l'aube. A sa mort, Zyriab laisse un héritage de plus de dix mille chants goûtés et appris dans toute l'Andalousie. Ses fils Obeid Allah et Abderrahmane, ses filles Hamdouna et Alya, sa disciple préférée Massabih continuent son enseignement. Des ouvres musicales nouvelles éclosent très nombreuses, et c'est alors que cette musique devient la propriété de tous.

La prise de Cordoue en 1236, par Ferdinand III de Castille, provoque l'émigration de cinquante mille andalous vers Tlemcen. Parmi ces réfugiés des musiciens apportant avec eux les structures et les styles des noubas, pratiquent cette musique et l'enseignent aux autochtones. Au cours des siècles passés, les noubas ont été totalement perdue, jusqu'à leur nom, ainsi que beaucoup de poèmes et leurs mélodies compris dans les noubas restantes, soit par manque d'exécution, soit par égoïsme des anciens maîtres de cette musique.

Le répertoire actuel de la musique classique à Tlemcen ne se compose plus que de seize noubas, plus ou moins riches en touchiates et ses poésies, avec prédominance instrumentale du rebeb. Ces noubas sont : Dil - Rasd Eddil - Maya - Raml Maya - Hassine - Ghrib - Raml - Zidane - Medjenba - Sika - Mezmoum - Rasd - Ghribet Hassine - Araq - Djarka - Moual.

Beihdja, l'artiste au talent exceptionnel

Forte de cet enseignement théorique de haut vol et douée d'un talent exceptionnel, Beihdja Rahal rayonne dans l'interprétation du mode andalou, ce style musical classique qui ne vaut précisément que par l'authenticité et la pureté de son interprétation. Son exécution impose le respect total de ses règles, de son harmonie, de ses rythmes et de sa ligne mélodique. Son interprétation exige de la chaleur, de l'âme et du sentiment. C'est par cette intense implication personnelle que se dégage cette atmosphère émotionnelle qui comble le public à chacun des concerts que Beihdja Rahal a donné partout en Europe comme au Moyen-Orient.

L'andalou est ici porté à son firmament par la voix cristalline et l'orchestre enchanteur de la première dame soliste de la musique classique arabo-andalouse. Une tournée en Algérie à l'occasion de la sortie de « Nouba Ghrib 2 ». Après Alger Jeudi dernier, Beihdja Rahal et son orchestre étaient à Djelfa, hier pour ensuite se rendre aujourd'hui à Bouira, Biskra le mercredi 10 mars, Koléa le mardi 23 mars à l'occasion du Festival maghrébin de musique andalouse, avant de se rendre en France pour une série de concerts. A Paris, Centre Culturel Algérien de Paris, vendredi 26 mars 2010, Metz, Arsenal de Metz 3 avenue Ney, Samedi 16 octobre 2010.

 

N. Anis
"L'AUTHENTIQUE" lundi 8 mars 2010