Interview exclusive avec l'artiste Beihdja Rahal

     
     
 

"Je ne fais aucune différence entre le public européen et le public maghrébin"

Beihdja Rahal, la diva du chant andalou, installée en France depuis quelques années, animera un concert ce samedi 25  février à la salle El Mouggar (19h). Dans cet entretien accordé en exclusivité à Bab edd'Art, elle nous explique son parcours de musicienne et de chanteuse.

De 1982 à 1985, vous avez été musicienne et interprète au sein de l'association el Fakhardjia. Quels souvenirs gardez-vous de cette période ?

Avant de rejoindre l'association El Fakhardjia, j'étais élève au conservatoire d'El Biar dans une classe dont le nombre n'avait jamais excédé les 10. Je me suis retrouvée dans un groupe de plus de 40, voire 50 musiciens, c'était un nouveau monde pour moi. Ce qui m'a le plus marqué c'est de me retrouver, une fois par semaine, face au maitre de l'école d'Alger, Abderrezak Fakhardji.

Je n'oublierai jamais le jour où il a décidé de me donner une nouba à interpréter en concert en 1983, quel honneur et quelle chance pour moi, d'être accompagnée des anciens élèves du conservatoire d'Alger et du maitre Fakhardji. ! Je pense que c'est à partir de là que mon entourage a commencé à faire attention à moi.

 

Vous avez toujours votre inséparable luth, quand vous verra-t-on avec une guitare, par exemple ? Ou bien vous n'aimez pas le mélange des genres ?

Ce n'est pas un luth mais une kouitra. Je me plais toujours à dire que la kouitra est un instrument typiquement algérien qu'on ne trouve pas ailleurs. Vous me verrez avec une mandoline, c'est avec que je donne mes cours de musique en France et c'est avec cet instrument que j'ai commencé au conservatoire en 1974. Pour moi, la guitare n'a pas sa place dans un orchestre traditionnel qui prétend interpréter la musique çanaa, pareil pour le mandole, le banjo ou le piano.

 

Que représente pour vous le chant en solo ?

C'est plus de travail que quand on est en groupe. C'est moi qui fais le choix des noubas que je vais enregistrer ou chanter sur scène. Je les travaille puis je les transmets à mes musiciens. Je guide, je dirige, je supervise toutes les phases de préparation. Ça demande beaucoup plus d'énergie et de concentration, heureusement que la passion fait oublier l'effort, en plus du bonheur d'être face au public et de chanter pour lui.

 

Ou vous situez-vous par rapport à ce qui se fait dans la musique andalouse au Maghreb ? Par rapport aux autres voix féminines.

Je suis interprète spécialiste de la nouba çanaa, le public a appris à me connaitre depuis 1995, année où j'ai sorti mon premier album. Je n'essaie pas de me comparer aux autres voix féminines, je fais ce qui me passionne et je laisse le public juger. Ce qui me fait plaisir c'est de savoir que mon nom est toujours cité dans tout le Maghreb quand on parle de musique andalouse.

 

Sentez-vous des différences dans les publics qui assistent à vos concerts, notamment entre Européens et Maghrébins ?

Je ne fais aucune différence entre le public européen et le public maghrébin, j'ai un trac terrible face aux deux, heureusement qu'il disparait après quelques minutes. J'adore les deux publics. Je me rappelle de mon premier concert en Europe, c'était en Hollande. Je pensais que le public n'aimait pas ce que je lui interprétais, à la fin de mon récital il se lève et il applaudit pendant un long moment. J'ai pris l'habitude en Algérie, des youyous et des applaudissements à chaque fin de chanson.

 

Que pensez-vous des autres musiques en Algérie, entre autres le raï et la fusion jazz-gnaoua ?

Le raï ? Je ne vais pas mentir en disant que j'aime ce genre, je ne l'écoute pas. J'écoute la belle musique et la belle poésie. Les fusions m'intéressent, je suis curieuse d'écouter le résultat. Moi-même j'ai fait des fusions avec l'orchestre philarmonique du conservatoire de Rouen, avec Juan Martin un guitariste espagnol et avec Radio Tarifa un groupe espagnol. Pour moi ça reste juste des expériences, ma priorité c'est la nouba çanaa.

Le gnaoui est une musique traditionnelle qu'on ne connaissait pas beaucoup en Algérie, il a fallu que l'Europe s'intéresse à ce genre pour que ça devienne à la mode chez nous. Pourquoi faut-il que ça soit toujours dans ce sens. Nous pouvons nous même promouvoir nos musiques traditionnelles, notre culture chez nous. Il faut intéresser nos jeunes dès l'école primaire à la musique, la peinture, le théâtre, le cinéma, la culture algérienne en priorité.

 

"BAB EDD'ART" jeudi 2 février 2012