"Nouba, ma passion"

     
     
 

En interprétant pour la première fois la Nouba Zidane qui avait inspiré Camille Saint Saens, dans sa composition de la Bacchanale de Samson et Dalila, Beihdja Rahal s'est imposée d'emblée dans la cour des grands. Par son talent avéré, sa voix mélodieuse et son sérieux, son nom est incontournable dans la musique andalouse. En digne héritière de Maâlma Yamna qui a brisé les tabous en faisant une incursion dans le répertoire musical andalou, réservé à l'époque qu'aux hommes, Beihdja suit avec panache cette trajectoire. Son credo est de vivifier cet atavisme vieux de plusieurs siècles qui n'a pas pris une ride.

Dans l'air du temps, cette musique ancestrale est chantée magistralement par cette virtuose qui lui a fait retrouver ses lettres de noblesse. De par l'influence de ses pygmalions, les grands maîtres de l'andalou MM Kakachi, Fakhardji et Khaznardji, et par sa rigueur, Beihdja y doit son franc succès. Sa carrière artistique se distingue par un long parcours de plus d'une vingtaine d'années ; et sa réussite a débuté sur les chapeaux de roue.

Cette charmante soliste maniant avec dextérité et talent la kouitra et la mandoline a fait ses classes au conservatoire d'El Biar puis dans les associations El Fakhardjia et Essoundoussia. Depuis, cheminant allégrement entre les deux rives de la méditerranée, cette concertiste continue sa carrière avec passion et pugnacité pour transmettre et sauvegarder ce riche patrimoine avec notamment la sortie de son 16ème album Cha'ryate. Elle a ravivé certaines pièces de Noubas qui ne faisaient presque plus partie de l'oralité grâce à ses bons soins.

Ses cours d'enseignement de la musique andalouse au centre culturel algérien à Paris pour les enfants issus de l'émigration par le biais de l'ELCO (enseignement de la langue et de la culture d'origine) sont autant de preuves de son acharnement et enthousiasme à perdurer cette préservation.

Beihdja Rahal fait florès dans le monde de la musique ; En l'écoutant lors de concerts dans les différentes capitales européennes et arabes, l'extaxe est assuré ; dans cet entretien, sa faconde à foison et sa passion est un régal qu'elle communique à l'envi. Soyons à l'écoute !

 

Peut-on connaître le parcours de Beihdja Rahal de l'enseignement à l'enregistrement de la musique ?

La musique a toujours accompagné mes études depuis mon jeune âge (12ans) ; cela a été en parallèle ; au départ la musique a été un loisir, et je n'ai jamais pensé être une chanteuse. Pour moi, l'essentiel était de faire des études universitaires scientifiques. Après ma licence en biologie, j'ai enseigné les sciences naturelles au lycée l'Emir Abdelkader d'Alger.

Etant en Algérie, je n'ai jamais pensé faire une carrière artistique ; la musique était un moment de détente ; après les cours, je faisais six heures de musique par semaine en tant que loisirs. Cette idée m'est venue suite à mon installation en France en 1992. Comme dans ce pays, le statut de l'artiste existe, je me suis dit pourquoi ne pas essayer de me lancer dans une aventure musicale ; Cela a abouti progressivement.

 

Les recherches pour rassembler les diverses Noubas procèdent-elles d'un souci de préservation et de sauvegarde de ce patrimoine musical ?

Certainement ; je me suis spécialisée dans la Nouba algéroise, la çanaâ. Les interprètes de ce genre musical sont très peu nombreux car il n'est pas évident de rester dans ce domaine qui nécessite beaucoup de travail et de recherches. On peut le faire et réussir  en étant honnête et en ayant beaucoup de rigueur et de persévérance.

Au départ, mon plaisir était d'enregistrer quelques albums. La passion et l'attachement me guidaient pour continuer, d'autant que dès mes débuts, le public a été réceptif et fidèle. C'est ce qui m'a encouragé à multiplier mes efforts.

 

Quel est l'apport de ces Noubas ?

Ces Noubas apportent une identité aux jeunes par rapport aux musiques actuelles, phénomène de mode. Quand on fait référence à la musique andalouse, on interpelle notre histoire qui nous représente à l'étranger. Un jeune qui découvre cette musique se sent appartenir à cette culture, cela devient une fierté pour lui. Il y a lieu d'affirmer que ce n'est pas une musique du 3ème âge ; bien au contraire, elle requière un certain niveau, et mon rôle est de la vulgariser et de dire qu'elle n'est pas élitiste.

L'important est de la faire découvrir et aimer par un large public ; cette mission incombe aux parents et à l'école ; cette dernière se doit d'animer des ateliers afin de parler de la culture algérienne.

 

D'aucuns disent que la musique andalouse est réservée à une élite, votre avis sur la question ?

Non pas du tout, c'est une musique savante en raison des normes et règles qui l'a régissent ; on l'a considère comme la musique classique européenne. Cette musique est de la grande poésie, et je ne me vois pas la chanter sans la comprendre. J'ai la chance de faire partie d'une génération qui a eu l'opportunité d'avoir accès à des études universitaires, ce qui me permet de mieux appréhender cette grande musique, de la faire découvrir aussi bien d'un point de vue poétique, historique et des maîtres qui l'ont représentée dans l'Andalousie arabo-musulmane.

Nous chantons beaucoup de poètes qui étaient à la fois, médecins, mathématiciens, philosophes… Ce qui prouvent le niveau intellectuel de l'époque.

 

Avez-vous comme projet de faire un nouvel album qui s'inscrit dans la même lignée que les autres ?

J'ai un album en cours de finition qui sera le dix septième, toujours dans la même vision que les précédents. On en parlera dés sa sortie.

 

Peut-on connaître les contours de la personnalité de Beihdja Rahal ?

Je suis une perfectionniste, rigoureuse dans le travail. Être trop exigeant devient quelques fois un travers; hélas mais j'espère ne jamais changer !

 

Peut-on considérer qu'il y a une relève parmi la jeunesse pour la transmission de cette musique ?

Certes, il y a une relève dont je fais partie, même si quelques fois l'ancienne génération ne l'admet pas. La relève existe aussi dans les associations dont le but premier devrait être la formation. Je constate qu'on les verse trop vite dans le professionnalisme, alors que c'est une musique qui nécessite des années d'apprentissage.

Ce n'est pas parce que le talent est là que nous n'avons pas besoin d'une formation de base très solide qui ne peut se limiter à quatre ou cinq années. En ce qui me concerne, mon premier album a été enregistré après vingt et un ans de formation, je ne vous parle pas de l'angoisse qui me hantait.

 

Avez-vous des projets de concerts pour cette nouvelle année ?

Pour l'année 2008, deux concerts sont déjà inscrits sur mon planning, prévus le premier et le deux avril à la maison des cultures du Monde à Paris, coïncidant ainsi avec la sortie de deux albums Nouba Hsine et Nouba Zidane; En outre, je suis en pourparlers pour donner un concert en Algérie pour le premier trimestre en cours.

 

Un dernier mot aux lecteurs de C-News ?

Je leur souhaite une bonne année riche en Culture.

 

 

Entretien réalisé par Dalila F.
"C-NEWS" janvier 2008