Mon plaisir est d'apprendre
     
     
 

Elle interprète la musique andalouse. Sa carrière est riche de plusieurs albums. Son objectif consiste à mener un travail de sauvegarde de ce genre musical et ce, à travers une série d'albums. Autrement dit, très tôt et ce, depuis les années 1980, Beihdja Rahal a investi la nouba. D'où la question : est-ce par passion ou par devoir ?

«Au départ c'était un pur hasard. C'est devenu une passion au fil des années et maintenant je peux parler de devoir. Devoir de transmettre ce que j'ai eu la chance de recevoir de mes maîtres et de mes aînés», explique-t-elle.

A la question de savoir si faire de la nouba, est un engagement ou seulement un acte musical, Beihdja Rahal répond : «Les deux. Il y a le plaisir d'interpréter la belle musique andalouse, d'être emportée par la grandeur de la poésie, mais aussi l'engagement de transmettre tout cet art aux générations futures et au grand public.»

De l'avis de certains, il est préférable de désigner ce genre musical de musique arabo-andalouse, tandis que d'autres penchent pour le terme de «musique classique» ou encore de «musique traditionnelle». En ce qui concerne Beihdja Rahal, elle s'aligne sur la seconde appellation. Elle la considère plus appropriée.

«Je préfère musique classique ou musique traditionnelle. On a créé ce terme de musique arabo-andalouse surtout en France pour préciser qu'elle est chantée en arabe parce que maintenant certains la chantent en espagnol, en hébreu… Je reste sur musique traditionnelle pour éviter de la comparer aussi à la musique classique européenne ou à l'opéra. Nous avons une musique très particulière, je souhaite qu'on garde son originalité», dit-elle.

Beihdja Rahal vit en France depuis plusieurs années, d'où la question : vous ne vous sentez-vous pas loin de votre pays, vous ne vivez pas une absence, une rupture ? «Pas du tout car je suis en Algérie plusieurs fois par an. C'est en Algérie que je me ressource, c'est en Algérie que je continue à m'inspirer», répond-elle, et d'ajouter : «Je travaille régulièrement avec mon orchestre à Alger et c'est avec lui que j'enregistre. Nous restons en contact pour la préparation des programmes que nous présentons au final au public.»

En effet, c'est en 1992 qu'elle s'installe en France où elle réussit à matérialiser avec succès ses projets musicaux. Celle qui au départ est partie pour des études universitaires plus poussées, a fini donc par tout laisser tomber pour la musique. En France, elle donne des cours à des enfants avec l'ELCO (Enseignement de la langue et culture d'origine) depuis plus de 13 ans et à des adultes au sein de l'association Rythmeharmonie dont elle fait partie.

Beihdja Rahal, pour qui la musique occupe tout son temps et la passionne, estime que malgré son riche parcours musical elle n'a pas atteint tout à fait son but, celui qu'elle nourrissait lorsqu'elle a débuté. «Si un jour je dis que je suis arrivée, il vaut mieux que j'arrête. Ça veut dire que je n'ai plus rien à prouver, plus rien à donner. Si le plaisir d'apprendre, de découvrir n'existe plus, il vaut mieux se retirer», dit-elle. Forte d'un enseignement théorique poussé et douée d'un talent exceptionnel, Beihdja Rahal rayonne dans l'interprétation du mode andalou, ce style musical classique qui ne vaut précisément que par l'authenticité et la pureté de son jeu.

Beihdja Rahal est l'interprète d'un genre musical authentique et séculaire. A la question de savoir si elle n'envisage pas de se livrer à la composition et à la création musicale, l'artiste explique : «Je suis interprète d'un patrimoine ancestral que je défends et qui me passionne et que je continue à transmettre, il n'y a pas de place à la création ou à la composition. C'est un travail prenant et difficile qui me plaît, pourquoi changer ?»

Il y a 24 noubas, mais les 12 autres ont disparu. La légende dit que les 12 disparues existent et elles sont cachées soit dans les archives espagnoles, soit dans celles du Vatican. Celle qui œuvre notamment par le travail d'enregistrement d'albums et l'enseignement à la préservation de ce patrimoine musical répond à cette légende avec scepticisme : «Peut-être. Tant qu'il n'y a aucune trace, on ne peut parler que de 12 noubas. Longtemps, on nous a parlé de 24 noubas, on y a cru, mais maintenant qu'on s'est mis à chercher des écrits ou autres, rien ne prouve qu'elles ont existé. Je préfère rester sur les 12 qui sont là et que nous interprétons jusqu'à présent et s'il y a des archives, j'aimerai bien les voir.»

Enfin, s'exprimant sur la possibilité de créer de nouvelles noubas, Beihdja Rahal dit : «Créer, pourquoi pas, mais pourquoi dire que c'est une nouba ? On s'inspire d'accord mais on ne va pas créer une nouba pour compléter ce qui existe. Les noubas pourraient être la 8e merveille du monde, il faut oser créer une nouba et dire que c'est pour compléter la partie du patrimoine qui a disparu.» La manière de Beihdja Rahal – celle d'exécuter une nouba dans la pure tradition, c'est-à-dire s'imposer de la rigueur, donc le respect total de ses règles, de son harmonie, de ses rythmes et de sa ligne mélodique – dégage une atmosphère émotionnelle qui, à chacune de ses prestations, comble le public.

 

Yacine Idjer
"INFOSOIR" dimanche 21 juillet 2013