La Nouba au cœur avec Beihdja Rahal  
     
     
 

Rarement interprète du répertoire arabo-andalou, maîtrisant également le shabî, le hawzî et l'arûbî, n'aura mis autant de passion dans l'exercice de son art. Beihdja Rahal est née en 1962 à Alger, au sein d'une famille de mélomanes, au milieu de sept frères et sœurs, d'un père originaire de Nédroma (région de Tlemcen) et d'une mère algéroise. Elle s'inscrit au conservatoire d'Alger, dès 1969, pour s'initier à la mandoline et à la kwîtra (luth maghrébin), instruments fétiches de l'algéro-andalou.

Elle fait ensuite un passage dans un autre conservatoire, celui du quartier d'El-Biar, où elle côtoie les maîtres Mohamed Khaznadji et Karkachi, qui l'aident à se forger un solide répertoire musical. Le tout en menant à bien son cursus scolaire, couronné par l'obtention, en 1989, d'une licence en biologie (spécialité parasitologie), qui lui permettra d'enseigner les sciences naturelles, successivement au collège Bouattoura, puis au lycée Emir Abdelkader d'Alger.

Un festival de Tlemcen, en 1981, sous l'œil (et l'oreille) averti des responsables de la fameuse association El Fakhardjia, finit par faire remarquer la majesté de sa voix. D'autant que, ce soir-là, elle excellera dans l'interprétation d'un long solo de nouba, ainsi que d'un  h awzî complet. Cette performance remarquable lui ouvre, un an plus tard, les portes d'El Fakhardjia, dont elle devient l'une des voix les plus en vue, confirmée par une prestation mémorable au Théâtre national algérien en 1984. Suite à des conflits avec certains membres, elle décide de partir tenter sa chance ailleurs.

Cofondatrice de l'association musicale Es-Sendoussia en 1986, Rahal participe à la production de quatre des cinq enregistrements d'une collection éditée par Zerrouki. En 1992, au commencement des violences en Algérie, qui se traduiront, notamment, par une baisse des activités, elle s'installe à Paris et y travaille comme comptable sans jamais renoncer à son art, en dépit de conditions qui rendent à cette époque, difficile la transmission du message andalou dans un univers musical maghrébin monopolisé par le raï.

Forte d'un enseignement théorique poussé et douée d'un talent exceptionnel, Beihdja Rahal rayonne dans l'interprétation du mode andalou, ce style musical classique qui ne vaut précisément que par l'authenticité et la pureté de son jeu. L'andalou se joue forcément avec des instruments traditionnels, tels que le târ (tambourin pourvu de cymbalettes), la derbouka, le luth, le violon, la kwîtra et le qânûn (cithare), et son exécution impose le respect total de ses règles, de son harmonie, de ses rythmes et de sa ligne mélodique.

Son interprétation exige de la chaleur, de l'âme et du sentiment. Celle qu'en propose Beihdja Rahal dégage une atmosphère émotionnelle qui a comblé le public à chacun des concerts qu'elle a donnés partout en Europe comme au Moyen-Orient. L'andalou est ici porté à son firmament par la voix cristalline et l'orchestre enchanteur de la première dame soliste de la musique classique arabo-andalouse.

De nombreux enregistrements, portant sur les noubas algériennes, témoignent du sérieux et du savoir-faire de ses entreprises mélodiques. D'autant que Beihdja, dans ce territoire naguère chasse-gardée des hommes, s'est juré de graver les douze noubas, ou harmonies, existant dans la tradition de sa terre natale et ce défi au monopole masculin n'est pas loin d'aboutir, comme en témoigneront, à nouveau, ses projets autour des modes dhil et mezmoum, à paraître dans la collection « Musicales » de l'IMA, qu'elle donnera également à entendre lors de ces deux soirées.

En guise de bonus, elle nous offrira quelques belles pièces du répertoire hawzî (chant des faubourgs de Tlemcen) et arûbî, un genre poétique dérivé de la sanaâ (une des écoles andalouses majeures) et développé à Alger et ses alentours immédiats vers le XIXe siècle par des auteurs comme Benyoucef, El Qbabti ou Belakhda.

 


"INSTITUT DU MONDE ARABE" mars 2006