Beihdja Rahal, la passion de la nouba

     
     
 

Beihdja Rahal, la plus belle voix de la musique arabo-andalouse algérienne, est à Alger pour un concert prévu vendredi 22 février. Elle annonce également la sortie d’un coffret CD et DVD regroupant quelques-unes de ses plus belles interprétations de la nouba.

Beihdja Rahal est revenue sur son parcours et son actualité lors d’une conférence de presse organisée hier au Centre des loisirs scientifiques à Didouche Mourad. L’artiste a présenté son tout nouveau coffret autour de la nouba algérienne, dont la sortie coïncide avec le concert de vendredi. Ce coffret, édité par Belda diffusion, regroupe des enregistrements antérieurs de cinq noubas : raml, sika, ghrib, dil et hsin. Il comprend également un DVD, où l’on peut retrouver des photos et des vidéos qui illustrent le riche parcours de la chanteuse.

On y voit notamment une vidéo de la rencontre émouvante entre Beihdja Rahal et le monument de la chanson kabyle, Cheikh El Hasnoui, une année avant sa disparition, à la Réunion en 2002. Elle est, par ailleurs, accompagnée sur scène par le virtuose du violon, Cheikh Abdelghani Belkaïd, qui nous a quittés en décembre dernier, après une carrière très riche, entre andalou et chaâbi. Beihdja Rahal a expliqué que le projet de ce coffret est en préparation depuis une année.

L’artiste a également tenu à inclure un livret contenant les textes des poèmes interprétés ainsi que leur traduction française par Saadane Benbabaali. Pour rappel, l’artiste a déjà publié deux livres accompagnés de CD avec Benbabaali : «La plume, la voix et le plectre» (Barzakh, 2008) et «La joie des âmes dans la splendeur des paradis andalous» (Anep, 2010). Un troisième livre sur le mouwashah est prévu pour 2014, a annoncé l’artiste.

Invitée par l’Etablissement arts et culture depuis deux mois, Beihdja Rahal a souhaité attendre la sortie d’un nouveau produit pour programmer son concert. Elle expliquera que «le respect du public impose de proposer du nouveau à chaque concert. Le public se déplace pour trouver du nouveau et je dois répondre à cette attente. Je ne joue jamais le même programme deux fois de suite dans une même salle».

Beihdja Rahal adopte en effet une ligne artistique exigeante, dont elle ne s’est jamais écartée durant une brillante carrière internationale et 21 albums publiés à ce jour. Elle affirme comme un crédo : «On n’est jamais arrivé. Si on n’a plus rien à prouver, mieux vaut arrêter.» Si elle n’est pas arrivée, Rahal a en tout cas réalisé un parcours artistique véritablement exceptionnel. Après des débuts au sein d’El Fakhardjia, elle rejoint l’association Es-Sendoussia en 1986, avec laquelle elle remporte, un an plus tard, le premier prix du Printemps musical d’Alger.

Installée en France depuis 1992, elle y fonde son propre orchestre : El-Beihdja. La chanteuse opte pour une formation légère où chaque instrument joue un rôle particulier, enrichissant l’ensemble d’un timbre et d’ornements propres. Pour le concert de vendredi, la chanteuse a d’ailleurs annoncé un orchestre de onze musiciens avec la présence du f’hal, instrument à souffle typique de la musique maghrébine.

La chanteuse insistera sur le fait que chaque instrument nécessite un jeu particulier pour révéler ses subtilités. «J’entends souvent certains musiciens dire qu’ils jouent de tous les instruments. C’est archi-faux. On doit se spécialiser dans un ou deux instruments», dira la musicienne, qui manie avec dextérité la kwitra et la mandoline.

Beihdja Rahal revendique son statut de pionnière en matière d’enregistrement de la nouba algérienne. L’artiste affirme que son enregistrement de la nouba zidane en 1995 a «révolutionné la musique andalouse». «Avant, on disait que la musique arabo-andalouse n’était pas une musique commerciale. Mais après cet album, beaucoup de chanteuses et de chanteurs algériens ont commencé à enregistrer de l’andalou», se souvient-elle, avant d’ajouter : «Pourquoi un chanteur de musique arabo-andalouse ne vivrait pas de sa musique ? On trouve bien des albums de musique classique occidentale à la Fnac.

Il y a même une infinité d’interprètes pour chaque œuvre.» A ce propos, la chanteuse expliquera que notre musique classique n’a rien à envier à la musique classique occidentale, qu’on appelle à tort «musique universelle». A ce sujet, Beihdja Rahal réagira aux appellations de «cantatrice» ou de «diva» dont on l’affuble souvent dans la presse : «Il n’y a pas de cantatrice ou de diva en andalou. On ne chante pas de l’opéra.» Elle évoquera même une de ses élèves, chanteuse d’opéra, qui éprouve de grandes difficultés à chanter de l’andalou. L’artiste consacre d’ailleurs beaucoup de son temps à la formation au sein de l’association parisienne Rythmearmonie.

Elle privilégie d’ailleurs la méthode traditionnelle de la transmission orale. «La formation nécessite, dira-t-elle, un long apprentissage auprès d’un maître. C’est comme ça que nous avons appris et c’est comme ça que nous transmettons. Les partitions, où les enregistrements peuvent être un plus, mais ils ne remplaceront pas la transmission orale.»

Evoquant la situation de la musique arabo-andalouse en Algérie, elle saluera le travail de formation des associations, mais précisera que ces organismes sont tout d’abord des écoles et ne sont donc pas destinés à se produire sur scène. Elle déplorera également une certaine précipitation chez la jeune génération de chanteurs qui sortent un disque au bout de deux ou trois ans de formation. «On veut fabriquer des chanteurs de musique arabo-andalouse à la façon de Star Academy.» Toutefois, la chanteuse, qui a elle-même commencé assez jeune, ne manque pas d’encourager les jeunes chanteurs : «L’andalou n’est pas une musique du troisième âge.»

Beihdja Rahal confiera que la nouba reste sa principale préoccupation. C’est pourquoi, tous ses enregistrements sont exclusivement réservés à cette forme classique de la musique arabo-andalouse. Cela ne l’empêche pas d’interpréter d’autres pièces en concert et même de tenter à l’occasion des expériences de dialogues avec d’autres musiques. Concernant son concert algérois, Beihdja Rahal annonce un programme en deux parties entre nouba et pièces plus légères du répertoire hawzi et aroubi. Rendez-vous donc vendredi à 16 heures à la salle Ibn Khaldoun. Une vente-dédicace du coffret sera organisée à la sortie du concert.

 

Walid Bouchakour
"REPORTERS.DZ" mercredi 20 février 2013