Les voix de la liberté
     
     
 

Elles chantent les airs traditionnels berbères ou les classiques du style arabo-andalou.

«Pour une fois, on ne parle pas du voile, mais des femmes qui créent», sourit Mohamed Metalci. Après avoir consacré aux dames son cinquième festival de poésie, le directeur des actions culturelles de l’institut du monde arabe convie depuis début mars et jusqu’à la fin mai le gratin des musiciennes: «Non seulement du monde arabe, mais en provenance d’un univers assez large qui va jusqu’à l’Afrique subsaharienne et à l’Asie centrale.»

A l’affiche, notamment, des parisiennes d’origine algérienne, l’une spécialiste des musiques berbères et sacrées, l’autre adepte de l’arabo-andalou hérité des cours de Cordoue et de Grenade, au temps de l’Espagne musulmane.

... Beihdja Rahal -douce voix haut perchée-, native d’Alger, a été parmi les premières algériennes admises au conservatoire pour suivre un enseignement auprès des plus grands maîtres de la nouba arabo-andalouse. Elle a étudié, en parallèle, à l’université, la biologie.

... Pour Beihdja Rahal, la musique au départ n’était qu’un loisir, mais est devenue une passion au point qu’elle a décidé d’en faire sa profession, malgré la mauvaise réputation qui colle à la peau des musiciennes.

Beihdja Rahal a donné des concerts en Algérie, en tant que soliste, au sein d’orchestres mixtes, mais c’est seulement quand elle a décidé de s’installer en France, au milieu des années 90, qu’elle a vraiment pu se lancer sous son nom.

«Depuis le XIXè siècle, poursuit Christian poché, les femmes ont été cantonnées dans la chanson légère, tandis que la virtuosité, le grand répertoire étaient réservés au hommes.» Il y a eu pourtant d’illustres pionnières de l’arabo-andalou au féminin dans les années 50 (Fadéla Dziria, Meriem Fekey, Maâlma Yamna, Reinette l’oranaise), mais elles n’interprétaient la nouba savante qu’au sein d’orchestres masculins. Lorsqu’elles chantaient avec leur propre groupe, elles en restaient à des formes plus populaires comme le chaâbi. Non parce qu’elles n’avaient pas de talent, selon Beihdja Rahal, mais parce que les hommes les tenaient à l’écart.

... « Les mentalités ont changé, sauf pour certains genres sulfureux, comme le raï, qu’on soit un homme ou une femme d’ailleurs… » dit Beihdja Rahal.

Concerts: «Des voix et … des femmes», jusqu’au 29 mai à l’Institut du Monde Arabe, Paris 5è.

 

Eliane Azoulay
"TÉLÉRAMA" No 2828, 24 mars 2004