La Nouba Dil 1 |
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Du début du VIII siècle jusqu’à la fin du XV, l’Espagne a été le point de mire des hommes de culture, des hommes de sciences et de civilisation. De partout, on accourait s’abreuver aux universités de Cordoue, de Séville, de Grenade, on ne pouvait apprendre les belles manières, le bon style, l’art de vivre en dehors de l’Andalousie arabe. On ne pouvait acquérir le bon temps, goûter les plaisirs multiples, se sentir à l’aise et jouir des bienfaits du progrès et de la civilisation. Le raffinement dans les lettres, la perfection dans la musique avaient atteint leur apogée dés le X siècle. Les grandes cours entretenaient des orchestres entiers, avec des chanteurs réputés dans le monde arabe. De partout, on venait assister à ces concerts organisés dans les jardins du palais. L’Alhambra abritait les plus belles filles, avec ses eaux ruisselantes, ses bosquets, ses ombrages, ses rosiers grimpants, rassemblait chaque soir les hôtes de marque venus présenter leur hommage aux Califes Omeyyades. A Cordoue, une ville plaisante appelée Madinet Ezzohra a été construite spécialement pour loger la reine et ses courtisanes. Une vie luxueuse débordait le cadre habituel et faisait rêver écrivains et poètes, musiciens et hommes du peuple. De cette époque de l’âge d’or de l’Andalousie musulmane, nous avons conservé des vestiges des palais, un mode de vie, une musique, une poésie qui reflète un état d’âme marqué par des caractéristiques spécifiquement arabes. Si nous nous reportons à ce qui se chante de nos jours dans les vieilles villes andalouses en Espagne, ou chez nous dans les anciennes villes algériennes non marquées par la civilisation occidentale, nous constatons que malgré une apparence de luxure qui a été la cause du déclin des musulmans en Occident, une certaine vie, empreinte de pudeur et de piété, marquait le comportement des hommes de cette époque. On aimait bien se distraire dans les demeures ou au cours des fêtes mais la vie de tous les jours continuait à se dérouler dans la rue selon les principes rigides édictés par une religion qui bannit la luxure et interdit tous les dépassements susceptibles de porter atteinte aux bonnes mœurs. La Nouba Dil, comme toutes les Noubas du répertoire andalou est basée sur une structure bien définie. Une Touchiya en ouverture, plusieus M’cedar, plusieurs B’taïhi, plusieurs Derj, un Istikhbar, plusieurs Insiraf et un ou deux Khlass. Si nous essayons d’étudier après la touchia, la première partie chantée qui est le m’ceder, nous constatons que la musique de base est identique à tous les M’cedar de ce même mode Dil, mais la tournure du morceau change d’un thème à un autre, d’ailleurs il arrive que le même morceau, les mêmes paroles changent d’intonation avec les interprètes. Au début du XIX siècle, nos musiciens connaissaient dans le mode Dil une quinzaine de M’cedar, mais au fur et à mesure l’oubli s’est installé, faute de transcription et d’enregistrement valable. Dans le M’cedar,il y a une partie exécutée par les instruments puis arrive le chant, plus doux, plus lent. Toutes les nuances sont marquées pour permettre à l’auditeur de comprendre les paroles, de savourer la beauté de la voix. Cette allure lente donne d’ailleurs plus de noblesse, elle favorise le rêve et l’entrée dans un autre monde. Après le chant, l’exécution musicale est plus vive, plus scandée afin de nuancer et de ramener l’imagination à une réalité plus stable. Le thème du M’cedar choisi dans cet enregistrement rappelle la période où les arabes venaient en Espagne. Le poète retrace cette époque de vie facile dans un pays florissant. Le luxe et la richesse permettaient à tout le monde de s’amuser, de partager beaucoup de plaisir. C’était des soirées musicales interminables, pas dans le sens qu’on lui donne de nos jours, dépourvus de mystère et de rêve, mais dans le sens de la veillée nocturne organisée dans l’intimité des demeures privées où sont conviés les amis sincères, les compagnons de joie. La soirée se prolongeait dans le bonheur complet jusqu’au lever du jour. Le vin circulait parmi l’assistance qui ne se composait pas uniquement de musulmans. Les chrétiens et israélites, musiciens et poètes de langue arabe se fréquentaient et s’amusaient ensemble. Interprètes, hôtes et invités vivaient en communauté. Le thème de ce morceau est pris dans l’ensemble de la nouba qui développe une histoire d’amour. Le poète, après une aventure qui a laissé son cœur meurtri essaye par des réminiscences heureuses de rappeler les moments vécus ensemble. Il supplie la bien-aimée de renouer avec un récent qui l’a marqué pour toujours. Dans l’interprétation du B’taïhi, nous retrouvons le souvenir de cette époque où les femmes en Andalousie respectaient le port du voile. Les maisons avaient une cour intérieure et des fenêtres grillagées donnaient dans la ruelle. Les femmes se mettaient au balcon à moucharabieh et observaient les passants du haut de l’étage. Elles ne manquaient pas de se montrer derrière les grillages, d’attirer le regard et de susciter l’intérêt, de troubler ceux qui les voyaient et ne pouvaient leur parler sans risque d’être dévoilés. Le poète, dans ce B’taïhi, est un passant comme tous les passants dans ces ruelles abrités telles que nous voyons à la Casbah. Il marche tranquillement, le pas paisible et nonchalant ,le regard rêveur, la pensée ailleurs quand, tout à coup, il entend un rire au dessus de sa tête. C’est un rire étouffé, au son cristallin. Il lève les yeux et son regard tombe sur une jeune adolescente à la beauté ravissante qui se met à lui sourire en faisant semblant de se cacher le visage par pudeur. Troublé par cette lumière, il trébuche, tremble, ralentit le pas indécis. Il ne sait pas au juste si le sourire lui est destiné, s’il doit s’arrêter et répondre ou continuer son chemin après le coup de foudre. Eperdu, perplexe, indécis, défaillant, il implore Dieu et nous raconte la douleur de son hésitation. Dans le troisième mouvement de la Nouba Dil appelé Derj, la partie chantée est lente mais pas aussi lente que dans les deux premiers mouvements: M’cedar et B’taïhi. Cette partie inspire le poète à exprimer ce qu’il ressent quand l’aurore le laisse indécis, partagé, comme les alentours entre la pénombre et la lumière, la nuit et le jour. Elle fait un récit, et comme tout récit, décrit ,s’attache aux détails qui captivent. La partie instrumentale qui la suit et lui sert de base est vive, attachante, gaie, comme si elle préparait la suite qui est le Insiraf, dont la mesure est totalement différente. La première partie (M’cedar, B’taïhi et Derj) a une mesure à quatre temps 4/4, malgré la diversité des thèmes, tandis que l’Insiraf, quatrième mouvement de la Nouba, qui prépare le Khlass ou final a pour mesure 5/8, il est léger et alerte. Le poète dans le premier Insiraf de cet enregistrement traduit ce qu’il ressent et s’excuse de tant d’audace auprès d’une femme qu’il ne connaît pas. Il va déborder de l’Insiraf qui a flatté ses sentiments et lui a permis de se confier d’une façon bien timide, au Khlass, cinquième mouvement de la Nouba à la mesure 6/8, plus ouvert, plus gai à cause du rythme accéléré et cadencé qui va être l’occasion pour lui de décrire celle qui s’est éloignée de lui sans raison valable, mais qu’il continue à voir devant lui avec des grands yeux noirs, sa coquetterie, sa taille élancée et svelte. La Nouba Dil se joue à l’aurore, le matin, avant le lever du jour. La poésie choisie pour ce mode décrit le réveil de la nature, le chant des oiseaux, la brise matinale, l’éclosion des fleurs, l’apparition des premières lueurs du matin derrière les montagnes, le mouvement des êtres et des choses, la manifestation de la vie. Le soleil n’est pas encore levé et le cœur se trouve indécis, balançant entre le réveil et l’insomnie. Mais l’espoir d’un jour heureux et faste est prédominante. Ahmed Sefta
Ce CD comporte les morceaux suivants:
3. M’cedar Dil: Oua housnek kad ichtahar Ta beauté est devenue célèbre
4. B’taïhi Dil: Kad kountou khatir Je passais un certain après-midi
5. Istikhbar Maoual: Khayaloukoum fil’âïni (BR) Votre image est gravée en moi, toujours présente,
6. Derj Dil: Adir el-kass (BR) Remplis les verres de vin et assouvis ma soif
7. Insiraf Dil 1: Malakni l’haoua kahra La passion m’a conquise bien malgré moi
10. Khlass Dil: Rimoun ramatni Une blanche gazelle m’a lancé les flèches de ses yeux Traduit de l'Arabe par Ahmed Sefta
L'enregistrement a été réalisé en juillet 2000 à Alger (Studio Bouabdellah Zerrouki), avec la participation des musiciens suivants:
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