La Nouba Dil 2

 

 

 

 Editions BELDA

 

 

… Aujourd'hui, en France où elle se trouve, elle est corps et âme dans sa musique. C'est une battante, élevée dans la tradition du don de soi, de l'engagement et du sacrifice, dans un milieu déjà qui favorise les valeurs fondamentales, ne permet pas les atermoiements et autres subterfuges quand il s'agit de montrer du sérieux dans un projet qui représente notre culture, notre patrimoine. C'est pour cela, également, que toute modeste qu'elle est, est en train de faire de grands efforts pour nous faire revenir à l'authenticité, cette qualité qui nous permet d'apprécier notre position ô combien digne dans le concert de la musique arabo-andalouse, la vraie, prodigieuse et… fascinante.

… Beihdja, aujourd'hui, a mûri, et ce style et ce nom, les siens, qu'on évoquait dans un précédent paragraphe, nous obligent à en parler aisément au présent. Car, au présent, elle s'impose, elle rayonne dans tous les pays du Maghreb, et en Europe, où elle se produit assidûment avec son ensemble au talent exceptionnel. Bien connue également dans « Bilâd al mouwashshahat », au Liban, en Jordanie, en Egypte et ailleurs, elle a séduit ces réputés « mounchidine », aux oreilles attentives, qui ne vivent que de leur art et dont la voix vous retourne l'âme et vous chavire le cœur. Avoir l'agrément de ces spécialistes à l'ouie très fine, est une sérieuse attestation pour les postulants à la gloire dans ce vaste Moyen-Orient. Et Beihdja a su être à la hauteur dans tous les examens que l'amour de la musique lui a imposés.

Oui, Beihdja a mûri, et de sa voix suave, limpide, elle joue avec sa gorge, en émettant des sons harmoniques, comme si elle jouait avec sa mandoline. Le chant, chez cette Diva de l'andalou – nous insistons sur cette qualité même si elle la refuse – exprime ses états d'âme et libère ses émotions. Elle interprète de grandes poésies en mettant tout son cœur pour nous envoûter, nous séduire et nous entraîner dans ce havre de paix aux sonorités harmonieuses. Elle possède cette volonté de se dépasser en qualité qui lui commande une gymnastique difficile à travers l'émission simultanée de deux sons en même temps qui donnent plus de beauté à son interprétation de morceaux choisis.

Ainsi, face à Beihdja Rahal, en spectateur assidu et en mélomane convaincu, l'on perçoit en ses œuvres cette forte personnalité et cette vigueur dans l'exécution qui font, comme disait un spécialiste de la voix, que « son énergie se transforme, sa vitalité s'accroît, ses sens et son mental étendent leurs champs de perception, son être réintègre sa place dans l'univers ». Et comment n'est-elle pas tout cela ? Comment n'est-elle pas la poésie et le chant qui s'expriment à travers elle ?

Imposante sur scène, elle inspire du respect d'abord et de la confiance ensuite. Ce respect et cette confiance, elle nous les offre, spontanément, mais aussi intentionnellement, parce qu'elle souhaite, par ailleurs, que ce qu'elle chérit le plus, cet «art andalou » ancestral, doit évoluer constamment pour combattre une certaine tendance qui nous fait glisser vers une phase décadente à cause de compositions musicales à l'emporte-pièce, signes inquiétants d'un divorce entamé avec l'authenticité et l'identité culturelle de notre pays.

En effet, Beihdja Rahal est là, plus présente que jamais. Elle produit beaucoup, et son palmarès est éloquent : elle est à son vingtième album dans tous les modes connus de la Sanaa andalouse. Elle est là, elle se refuse d'être en marge de cette ébullition culturelle et scientifique. Elle brille par son ingéniosité et sa compétence, à l'image de ces femmes que l'Histoire évoque et célèbre en lettres indélébiles, pour les faire connaître et les immortaliser. Elles sont nombreuses, et notre mémoire, quelquefois défaillante, n'ose les nommer une à une, au risque d'oublier peut-être les plus importantes parmi elles.

C'est ça Beihdja Rahal, une femme de caractère qui fait de son engagement, dans la musique classique algérienne, une éducation qui pousse de toutes ses vigoureuses racines. Et là, où elle se produit, elle laisse quelque chose…, qui vous accroche, qui vous émeut et qui vous rappelle ces parfums d'une époque autrement plus conviviale, plus dynamique, où l'art et la culture vivaient en totale symbiose avec la beauté de la nature qui inspirait aux gens des ardeurs exceptionnelles.

Cette Dame – et là, le terme lui sied convenablement –, d'une certaine prestance lorsqu'elle interprète ses « classiques », qui ont fait autorité antan, pendant cette période de noblesse culturelle, veut à chaque occasion nous communiquer, pour nous la faire aimer davantage, cette poésie qui est pure, directe, suave et pleine de sensibilité. C'est ainsi, que dans ce dernier ouvrage, intitulé : « La joie des âmes dans la splendeur des paradis andalous », Beihdja, par ses chants lors d'un concert live et Saadane Benbabaali, par un essai sur la poésie florale et ses traductions de plus de cinquante azdjâl , nous invitent à « revisiter » l'univers parfumé et coloré du paradis perdu, le Firdaws al-mafqoud.

Beihdja a entrepris depuis sa rencontre, il y a plus d'une décennie, avec Saadane Benbabaali, maître de conférences à Paris III, spécialiste de littérature arabo-andalouse, un long travail de défense et d'illustration de l'art poétique et musical andalou. Le professeur a signé les traductions de toutes les pièces chantées par Beihdja dans les sept derniers albums. Co-auteurs d'un premier ouvrage, La plume, la voix et le plectre paru en 2008, ces deux passionnés de l'héritage de Ziryab et des washshâhoun andalous poursuivent leur chemin avec un nouveau bouquet poético-musical : Fleurs et jardins dans la poésie andalouse  . Comment alors, Beihdja, l'universitaire, exigeante quant au sens précis des mots qu'elle chante et consciente de leur juste valeur, ne tenterait-elle pas, avec ce poéticien inspiré, de «  saisir le fonctionnement d'un thème particulier dans la poésie strophique andalouse appelée muwashshah et zadjal » ?

Que dire enfin, dans ce modeste propos qui fait le portrait d'une artiste, d'une grande…, vraiment grande ? Que nous avons de nobles sentiments de respect et de considération à l'égard de cette dame qui nous réconcilie avec le bel art, l'authenticité, et nous promet un meilleur avenir pour la Nouba andalouse qui retrouve, avec elle, toute sa fraîcheur. Mais, à travers ces mots sincères et sans complaisance aucune, je l'avoue, d'aucuns verront peut-être dans ce texte un panégyrique, une apologie…, ceci n'est point vrai. Ce n'est que la juste réponse, à un travail assidu, à un engagement courageux, volontaire, de celle qui s'est vouée à une merveilleuse cause : celle de purifier et de mettre en valeur un patrimoine qui a été, malheureusement, longtemps soumis à l'indifférence des hommes et, le plus souvent, à leur ignorance de ces trésors valeureux qui témoignent de notre remarquable culture.

N'est-ce pas beau, aujourd'hui, d'apprécier Beihdja Rahal, dans un concert, auguste et impressionnante au milieu de son orchestre, nous livrer de sa voix tendre et douce, de sa « voix andalouse » comme l'écrivait Sofiane Hadjadj, les meilleures noubas de ce patrimoine des ancêtres ?.


Kamel Bouchama
Août 2010
Extraits du Portrait de Beihdja Rahal par Kamel Bouchama
dans le livre La joie des âmes dans la splendeur des paradis andalous
Editions "ANEP", novembre 2010

 

 

Ce disque comporte les morceaux suivants:

1 . Inqilâb Maoual: Yâ badr fî oufqi as-samâ
2
. M'saddar Dil: Tahya bi-koum
3
. B'tayhi Dil: Malak 'inânî
4
. Istikhbâr Maoual: Kalamou houbin
5
. Dardj Dil: Kadhâ hoû al-massâ
6
. Insirâf Dil 1: Houbbou al-hissân
7
. Insirâf Dil 2: Afnânî dhâ l-houbbou raghma
8
. Insirâf Dil 3: Him fî hâl
9
. Khlâs Dil: Laqaytouhâ fî tawâfi

 

 

1. Inqilâb Maoual: Yâ badr fî oufqi as-samâ

Ô mon astre, toi qui emplis l'horizon,
les flammes du désir brûlent au fond de moi ;
Tu m'as donné à boire dans la coupe qui attise la soif
et tu m'a privé des roses de tes joues.
Tu as laissé mon coeur épris d'amour
et tu m'as enchaîné dans l'océan de ta passion.
Sois clémente pour celui qui s'est soumis à ta volonté
et tiens la promesse que tu m'as faite, ô ma gazelle !
Tous mes jours sont des jours de plaintes et de sanglots
et je ne vis que par l'espoir de notre union !
Mets fin à ton injustice, et cesse de me blâmer
Toi qui es si coquette !
Je suis devenu aussi évanescent qu'une ombre
Et mon corps endure tant de souffrances !
Je demande à Dieu, le Seigneur de toute Gloire,
Celui qui connaît le secret du Livre,
de te faire subir ce que j'endure
afin que tu goûtes au feu de mes tourments ;
qu'il te prive de Son amour,
Jusqu'à ce que tu deviennes telle une ombre !

 

2. M'saddar Dil: Tahya bi-koum

Que renaisse et reverdisse toute terre que vous foulerez,
Comme si vous étiez pour elle une pluie bienfaisante.
Les yeux languissent d'admirer sur votre visage
Le plus charmant des paysages,
Comme si vous étiez pour eux le plus beau des astres.
En chaque lieu où vous résidez,
S'exhale votre parfum exquis,
Comme si vous étiez les senteurs enivrantes de nos jardins.
Que Dieu ne fasse languir d'amour aucun être pour vous
Dans mon coeur, vous occupez une place de noblesse et de haute estime !

 

3. B'tayhi Dil: Malak 'inânî

Une gazelle des déserts s'est emparée des rênes de mon coeur,
Elle règne au plus profond de moi et je n'ai que ma  patience ;
Son charme a ravi mon esprit, à cause d'un regard
Et je ne vis plus que dans l'espoir insensé de la voir.
Si longue est son absence qu'elle attise mes désirs,
Seule la présence de ma bien-aimée guérira mon mal.

 

4. Istikhbâr Maoual: Kalamou houbin

Passant à travers ma langue, ces paroles d'amour
viennent de Toi et vers Toi font retour ;
Tu en as décidé ainsi, tel est Ton Décret
Car qui d'autre que Toi pouvait décider ?
Quand l'amant à Ta volonté s'est soumis,
Tu en fais le lieu de Ton Épiphanie
Lorsque Tu aimes Ton serviteur,
Tu élèves son rang et Tu deviens son Bien-Aimé.

 

5. Darj Dil: Kadhâ hoû al-massâ

Voici donc le soir! Vois la nuit qui s'installe,
Ô mon amie, ne remets pas à plus tard ce que tu as promis,
Et abandonne tout reproche !
Mon corps amaigri  a revêtu un habit livide.
Sache, ô mon amie,
Que celui qui aime ne peut cacher son secret .
Mon envie est qu'un jour nous soyons enfin réunis,
Afin que nous puissions connaître repos et harmonie
Et que ceux qui nous blâment meurent de dépit.
Si je suis anéanti, c'est qu'on a dérobé à ma vue
L'astre de plénitude qui, par son éclat, illumine la nuit.
Sa taille harmonieuse et souple est la cause de ma souffrance.

 

6. Insiraf Dil 1: Houbbou al-hissân

Des belles comme des astres à aimer
Et un vin, tiré de la jarre, à déguster !
Ami, prépare le vieux Khandaris,
Ce vin, qui, dans sa coupe
Est semblable à une jeune mariée.
Verse-moi de ce vin clair,
Qui ressuscite les âmes !
Nous sommes de nouveau réunis
Avec les belles houris du Paradis.

 

7. Insiraf Dil 2: Afnânî dhâ l-houbbou raghma

Cet amour m'a anéanti, je n'ai plus de volonté :
La tyrannie de ma bien-aimée m'a foudroyé.
Si tu veux juger un amant comme moi,
Sois donc juste et clément dans ton jugement.
Celui qui tue une âme injustement,
Des flammes de l'enfer, connaîtra les tourments.
Qu'ont donc mes ennemis à me persécuter ?
Je suis un amoureux éperdu, errant comme un possédé,
Car, dans cet amour, je ressemble au fou de Leïla.

 

8. Insiraf Dil 3: Him fî hâl

À l'ombre des jasmins, abandonne-toi à la joie d'aimer,
Et que des mains généreuses arrosent toutes les plantes !
Celui qui s'éprend d'une belle gazelle,
doit ce munir d'une longue patience
Et qu'il fasse d'elle sa confidente et son commensal !
Abandonne tes reproches, ô censeur, cesse de me blâmer,
Pour l'amour d'une gazelle
dont les yeux lancent des traits mortels :
Des yeux bleus langoureux et tellement effrontés

 

9. Khlâs Dil: Laqaytouhâ fî tawâfi

Je l'avais rencontrée cherchant pardon et repentir
Autour de la Kaaba , lors d'un pèlerinage ;
Je lui ai parlé d'amour, elle m'a répondu:
"Ce n'est pas un lieu pour de tels propos ";
Je la saluai et aussitôt m'éloignai,
Regrettant les paroles que j'avais proférées.
Si Dieu le veut, il nous réunira un jour
Dans l'alcôve de l'ivresse et de l'amour.

Le muezzin, du haut du minaret, appelant à la prière
Lança : « Accourez et profitez de vos belles ! »
Repens-toi, muezzin et demande pardon à Dieu
Et dis : « Venez profiter des bienfaits de la prière ! »

 

Traduit de l'Arabe par Saadane Benbabaali
Décembre 2010

 

Les musiciens:

. Nadji HAMMA: Oûd
. Mohamed El Amine BELOUNI: Oûd
. Mokrane BOUSSAÏD: Violon-Alto
.
Salim BRADAÏ: Violon-Alto
. Lhadi BOUKOURA: Violon-Alto
. Nacer RAHAL: Violon-Alto
. Mansour BRAHIMI: Mandoline
. Djihad LABRI: Qanoun
. Halim GUERMI: Ney
. Sofiane BOUCHAFA: Tar
. Mourad TALEB: Derbouka

et Beihdja RAHAL à la Kouitra.

 

Enregistrement Numérique : Bouabdellah Zerrouki (Déc 2010)
Direction artistique : Beihdja Rahal
Traductions de la poésie : Saadane Benbabaali
Conception de la pochette : Benaïssa Nekkab
Photos : Beihdja Rahal
TT : 76'32"

En collaboration avec :
Air Algérie, Nedjma et L'office national des droits d'auteur et des droits voisins (O.N.D.A)

Et remerciements à Messieurs Abdelwahid Bouabdellah, Mohamed Boudrar, Ramdane Djazaïri, Kamel Bouchama, Benaïssa Nekkab et Hakim Benouali.