Transmettre mon art à la jeune génération

     
     
 

«J'essaie de transmettre de façon pédagogique mon art à la jeune génération»

Dans le cadre de la sortie de son 27e album, l'interprète de musique andalouse, Beihdja Rahal, sera en concert le 29 mai, à 22h, à la salle El Mougar. Dans cet entretien, elle donne un éclairage sur ce nouvel opus, sorti aux éditions Ostowana.

 

Vous venez de sortir aux éditions Ostowana votre 27e album. Un album qui vient compléter la série de noubas que vous avez entamée il y a vingt ans ?

Ce CD a été édité en partenariat avec le ministère de la Culture. Monsieur Azeddine Mihoubi a souhaité soutenir cet album, je le remercie infiniment. Il comporte une touchia Maya et des pièces dans les modes Rasd eddil et Maya en alternance. Un livret comportant la poésie en arabe et la traduction en français réalisée par Saâdane Benbabaâli accompagne cet opus.

 

Comment s'est effectué le choix de la nouba Mezdj, sachant que celle-ci s'articule sur deux modes ?

L'année dernière aussi j'ai sorti une nouba Mezdj. C'était un jumelage entre le Ghrib et le Zidane. Cette fois-ci, c'est entre les modes Maya et Rasd Eddil. Le choix est toujours réfléchi. J'essaie de donner des explications supplémentaires au public à chaque sortie d'album.

La nouba andalouse est basée sur une classification et des codes qu'on doit respecter. Un Mezdj ne se fait pas entre tous les modes. Le mode Maya ne peut se jumeler qu'avec le Rasd Eddil. J'ai enregistré les 12 noubas, puis j'ai fait un 2e tour que j'ai terminé en 2016. J'essaie à présent de compléter ma collection par d'autres structures possibles que le public connaît moins.

 

Vous travaillez depuis des années avec les mêmes musiciens. Quel est le secret de cette complicité et de cette pérennité ?

On ne change pas une équipe qui gagne ! Je m'applique dans mon travail, dans mes recherches et dans la préparation d'albums ou de concerts. Mes musiciens le savent et heureusement qu'ils ont les mêmes préoccupations que moi. Ils sont talentueux, professionnels et aiment la rigueur comme moi. Nous travaillons ensemble depuis plusieurs années, nous sommes devenus très proches.

En studio ou sur scène, c'est moi qui dirige mes musiciens «hommes», je n'ai jamais senti une quelconque gêne. J'ai beaucoup de respect pour chacun d'eux, ils me le rendent bien. C'est cette entente et cette rigueur qui font que l'aventure avec le même orchestre continue.

 

Dans le cadre de la promotion de votre album, vous serez sur la scène de la salle El Mougar à Alger le 29 mai prochain et le 1er juin à Oran. Dans quel état d'esprit êtes-vous à la veille de ce rendez-vous musical avec votre public ?

C'est à chaque fois avec un immense bonheur que je retrouve le public algérien qui m'a vu grandir dans le milieu associatif. Il a assisté à chaque étape de ma formation, du conservatoire aux associations El Fakhardjia et Essoundoussia, je ne veux pas le décevoir. Lorsque je suis en studio, c'est à lui que je pense en premier et c'est pour lui que je présente le nouvel album en priorité. Il a la primauté, car son avis compte beaucoup pour moi.

Je suis stressée à chaque fois, mais j'essaie de me rassurer en me disant que les artistes ont toujours le trac et le stress, ça ne marche pas toujours ! Je remercie l'ONCI qui me donne l'occasion de rencontrer mon public à chaque sortie d'album et de le dédicacer à la fin du concert, quel honneur pour moi !

 

Si vous avez réussi avec brio à vous imposer sur la scène nationale et internationale, il n'en demeure pas moins qu'aujourd'hui vous essayez de vous imposer en tant que modèle pour les générations actuelles et futures ?

J'essaie de m'imposer en tant que modèle pour la jeune génération, mais surtout de transmettre de façon pédagogique mon art, qui sera une base de formation pour tous. Je ne me contente plus d'apprendre à mes élèves à chanter ou à jouer d'un instrument. Je veux qu'ils s'imprègnent d'une civilisation, d'une culture.

Je complète les cours par des ateliers particuliers, des journées et des voyages d'étude. Je suis sollicitée un peu partout en France et en Europe pour animer des master class et des conférences sur notre patrimoine sanaâ. Je fais partie du jury du conservatoire de Paris lors des présentations de thèses de musique traditionnelle.

J'ai eu la chance d'être formée par des maîtres dans ce genre musical, je citerais Zoubir Kakachi, qui m'a appris à poser les doigts sur la mandoline, et Abderrezak Fakhardji, qui m'a donné la chance de chanter en public. Mes études universitaires m'ont aidée, en parallèle, à créer ma propre méthode d'enseignement avec une manière particulière d'intéresser les jeunes tout en respectant la démarche principale de transmission qu'est l'oralité.

 

Dans la plupart de vos répertoires, vous vous plaisez à puiser dans la belle poésie arabo-andalouse, rehaussée de ses poètes et poétesses...

J'ai chanté Wallada Bint Al-Mustakfi, Oum Al-Ala et Oum Al-Hana. Trois poétesses parmi tant d'autres, je leur ai consacré un album «Cha'riyate» en 2007 dans le but de faire découvrir ces femmes. Ce n'était pas pour mettre en compétition la poésie masculine et féminine, mais juste pour la mettre en valeur et rendre hommage à ces poétesses. Il faut qu'elles reprennent la place de choix qu'elles avaient à l'époque de cette grande civilisation arabo-musulmane en Andalousie.

Saâdane Benbabaâli m'a énormément aidée et soutenue dans ce travail. Grâce à ses traductions, à ses connaissances et à sa passion pour le muwashah andalou, j'ai beaucoup appris et c'est ce que j'essaie de partager et de transmettre à mon tour aux jeunes et au public. A la fin du mois d'avril, avec mes élèves de l'association Rythme harmonie de Paris, nous avons effectué notre 2e voyage en Andalousie, guidés par les explications de Saâdane.

Nous avons pénétré ce monde merveilleux, cette grande civilisation par son histoire, par son architecture et sa grande poésie. Le groupe est revenu enchanté et demande déjà à repartir !

 

Vous avez eu l'occasion de partager la scène avec de prestigieux orchestres européens ?

Oui, à plusieurs reprises. C'est très enrichissant pour les musiciens européens et pour moi-même. Cela nous donne l'occasion de découvrir et de partager d'autres musiques, d'autres cultures. J'ai chanté avec l'Orchestre philharmonique du conservatoire de Rouen, avec Juan Martin, avec Radio Tarifa, avec des Italiens...

Il y a 3 ans, j'ai renouvelé l'expérience avec des Espagnols au palais de l'Alhambra, à Grenade. Nous sommes actuellement en train de préparer un autre spectacle à Madrid pour le mois de décembre 2018.

C'est un enrichissement qui me donne l'occasion d'être fière du patrimoine que je défends.

 

Propos reccueillis par Nacima Chabani
"EL WATAN" vendredi 25 mai 2018