Bientôt un troisième livre sur la musique andalouse  
     
     
 

Native d'Alger, Beihdja Rahal est musicienne interprète de la musique arabo-andalouse, qui a joué au théâtre, tout comme elle a coécrit, en compagnie de Saadane Benbabaali, deux ouvrages sur la musique andalouse : « La plume, la voix et le plectre » (éditions Barzakh, 2008) et « La joie des âmes dans la splendeur des paradis andalous » (Anep 2010).

Depuis douze ans, elle donne des cours de musique aux enfants à l'ELCO de Paris où elle réside. L'express la considère parmi « les 100 personnes qui font bouger l'Algérie » et Jeune Afrique parmi « les 50 personnalités qui font l'Algérie ». Et pourtant ! « Pour moi, mais aussi pour mes parents, les études étaient la priorité. La musique n'est, au départ, qu'un loisir. Si on ramenait un mauvais bulletin, on pouvait être sanctionnée, et risquer de la sorte de ne plus faire de la musique ». Dans l'entretien qui suit, nous l'avons interrogé sur son parcours et son devenir. Ecoutons-là.

 

Bien que vous ayez baigné dans la pratique de la musique arabo-andalouse, vous avez appris le luth et à chanter avec le grand maître Mohammed Khaznadji… N'est-ce pas là des signes avant-coureurs quant à une parfaite maîtrise de votre art ?

Le fait d'être passé chez des maîtres comme Mohammed Khaznadji, Abderezzak Fakhardji et Zoubir Kakachi, pour suivre une formation, m'a permis d'être ce que je suis maintenant. Cela est incontestable. J'essaye donc d'être perfectionniste, de donner un travail de qualité au public, qui est à chaque fois présent et en force. Dans cette musique, on apprend à jouer et à chanter en même temps, mais il n'y a vraiment pas une technique bien particulière pour apprendre à chanter. On ne la connaît pas.

 

De 1982 à 1985, vous bénéficiez de l'enseignement de l'Association artistique et culturelle El-Fakhardjia, puis vous rejoignez l'Association musicale Essoundoussia où vous enseignez la musique, et obtenez le premier prix au printemps musical d'Alger. Un commentaire ?

Après avoir été formée à l'association artistique El-Fakhardjia, de mars 1982 à juillet 1985, j'ai, de ce pas, rejoint l'association Essoundoussia à partir du mois d'octobre 1986 à 1992. J'ai fait partie d'un groupe d'amis qui ont décidé de créer et/ou de fonder l'association Essoundoussia. Nous avons, alors, recruté d'autres jeunes qui ont été formés dans l'association. J'ai, pour ma part, fait partie de l'orchestre supérieur. Et j'ai, d'ailleurs, moi-même enseigné une petite classe au niveau de l'association Essoundoussia.

 

En septembre 1992, vous vous installez en France, où vous n'allez pas tarder à fonder votre ensemble « El Beihdja » marqué par un chevauchement des voix. Pourquoi ce choix ?

J'ai formé l'orchestre et un groupe restreint exprès pour dire : attention ! la musique andalouse, à l'origine, c'était des orchestres restreints. Ce n'était pas cinquante ou quarante musiciens sur scène, comme on voyait et on voit toujours dans les associations. Parce qu'on pense que la musique c'est ça, moi je dis non !

C'était d'ailleurs une musique de palais, de cour, donnée par un petit orchestre. J'insiste surtout sur les instruments traditionnels. Parce que quelque fois, il nous arrive de voir même sur scène des guitares, des mandoles, des banjos, alors que ce sont des instruments qui ne sont pas acceptés dans la musique andalouse. La musique andalouse, c'est le violon, la mandoline, le kanoun, la kouitra, l'oûd, derbouka, tar… Même le piano n'est pas accepté.

 

Vous avez signé 21 albums dans tous les modes connus de la sanaâ andalouse, et vous brillez par vos interprétations authentiques et une personnalité hors du commun, forçant le respect et l'admiration. A quoi l'attribuez-vous ? Et pourquoi les études en biologie ?

La musique a toujours accompagné les études en biologie. Parce que j'ai toujours fait la musique en parallèle des études. Pour moi, mais aussi pour mes parents, les études étaient la priorité. La musique n'est, au départ, qu'un loisir. Si on ramenait un mauvais bulletin, on pouvait être sanctionnée, et risquer de de ne plus faire de la musique. Dans ce cas là, pour bien reprendre les études.

Au départ, il n'y avait pas cette idée de faire carrière dans la musique. Ce n'est que lorsque j'ai terminé mes études en biologie – j'ai même commencé à enseigner les sciences naturelles – et en m'installant en France que j'ai décidé de faire carrière dans la musique. Si j'étais resté en Algérie, je n'aurais jamais entamé une carrière professionnelle en musique, jamais ! Parce que tant que le statut de l'artiste n'existe pas réellement, je ne pensais pas du tout à ça.

Aujourd'hui, et je le dis souvent aux jeunes, la musique n'empêche jamais de faire des études, et une carrière brillante en musique. En plus du talent – il faut bien qu'il soit là – il y a du travail, du sérieux, la patience. C'est tout ça qui fait ce que je suis.

 

Comment interprétez-vous vos participations aux pièces de théâtre « les fils de l'amertume » de Slimane Benaissa, et « le nomade de l'an 2000 » de Maya Arriz Tamza ?

La pièce « les fils de l'amertume » de Slimane Benaissa est vraiment, pour moi, une ouverture vers un domaine que je ne connaissais pas du tout. Benaissa m'a donné la chance de pénétrer le milieu du théâtre, et d'y connaître de grands noms, comme Sonia, Fellag, Agoumi, et bien sûr lui-même (Benaissa, ndlr). Il y a aussi Marc Barbé, Jacques Viala et d'autres. Donc, j'ai côtoyé des comédiens importants et connus. C'est grâce à lui que j'ai pu, ensuite, appliquer ce que j'ai appris dans le théâtre à la musique.

Dans la musique, on nous apprend à nous asseoir et à chanter. Le théâtre m'a appris à entrer sur scène, à saluer, à retenir le trac que j'ai déjà, le stress. Le théâtre m'a appris à me tenir sur scène, à faire face à un public. Chose que je ne connaissais pas du tout. La deuxième pièce « le nomade de l'an 2000 » fait office d'une autre expérience longue d'une année et demie de tournée. Et on apprend beaucoup en une année et demie. Pratiquement tous les soirs. Cette pièce m'a ouvert d'autres portes parce que là je suis entrée dans une compagnie complètement française, avec aussi des comédiens français de Tarbes, des Hautes-Pyrénées. J'avais déjà de l'expérience, mais là je l'ai développée.

 

Vous obtenez en 2005 le prix « Mahfoud Boucebci » pour travaux de recherche et de sauvegarde du patrimoine musical andalou. Et vous avez également coécrit, en 2008, avec Saadane Benbabaali « La plume, la voix et le plectre » (éditions Barzakh). Un ouvrage bilingue où vous abordez la poésie et la musique andalouse. Le support de l'écrit n'est pas fortuit, n'est-ce pas ?

Comme Saadane Benbabaali a traduit au français les textes que je chante dans beaucoup de CD – chaque CD est accompagné d'un livret –, je lui ai, un jour, proposé de confectionner ensemble un livre. Bien sûr, lui il s'occupe de toute la partie littéraire – à chacun son domaine – et moi de la partie musicale. Et c'est ce que nous avons fait justement ensemble.

Cela a, d'ailleurs, très bien marché, les gens ne demandaient que ça : avoir des explications sur cette poésie, pénétrer ce monde merveilleux de la poésie, connaître un petit peu l'histoire de cette musique andalouse, les poètes, les poétesses, l'Andalousie avec toutes ses villes. Sa civilisation. Ça a tellement bien marché qu'on a pensé à confectionner un deuxième ouvrage…

 

En 2010, vous rééditez l'aventure livresque avec la publication (arabe-français) aux éditions ANEP de « La joie des âmes dans la splendeur des paradis andalous », où vous abordez l'amour, la femme et les Jardins dans la poésie andalouse chantée par d'illustres poètes que vous ressuscitez au fait.

Oui, les poètes et la poésie. C'est un livre plus développé puisqu'il y a plus de soixante-dix textes traduits au français. Les Jardins, qui est le thème choisi dans ce livre – au départ fleurs et jardins – puis on a rajouté les palais… Il y a même un troisième livre en préparation. Ce que nous faisons Saadane Benbabaali et moi, c'est d'attirer ce public qui aime cette musique via des ouvrages où il essaye de pénétrer la musique andalouse par la poésie, la belle parole, la littérature.

 

Membre fondateur de l'association Rythmeharmonie, vous enseignez la musique et les cours de chant. Et vous donnez des cours de musique pour les enfants à l'ELCO de Paris. Y a-t-il ferveur et réel intérêt de vos disciples ?

Ah oui, je pense. Quand j'ai décidé d'enseigner en France – et surtout à Paris puisque c'est là que je réside –, je savais exactement où j'allais, depuis maintenant douze ans avec les enfants, depuis plusieurs années avec les adultes. Le travail le plus important se fait avec les enfants parce qu'ils représentent la relève de demain.

Il y a une relève en Algérie ; il y a une grosse communauté algérienne en France ; alors pourquoi ne pas penser à elle, et lui enseigner cette musique. C'est sûr que parmi ces enfants, il y a aura une relève aussi. Il y a donc une relève au sein de la communauté algérienne établie en France ; et c'est pour cette raison d'ailleurs que je m'attache à enseigner sur place.

 

Quel effet ça vous fait de savoir que vous figurez parmi « les 100 personnes qui font bouger l'Algérie » (L'Express, 2002) ? Puis « les 50 personnalités qui font l'Algérie » (Jeune Afrique, 2008) ?

C'est vraiment un moment de bonheur. Quel honneur que de savoir – on me l'avait dit, ensuite, j'ai acheté le magazine – que je fais partie des « 100 personnes qui font bouger l'Algérie » dans un premier temps. Et trois ans après, je fais partie des « 50 personnalités qui font l'Algérie ». C'est extraordinaire ! Car on se dit quand même : voilà, je fais un travail qui arrive à plaire, et à être reconnu. Ça, c'est extraordinaire ! Ça ne peut que m'encourager à continuer ce travail.

 

Que vous reste-t-il encore à parfaire et à écrire pour atteindre la félicité des grands maîtres du genre ?

Oh lala ! Beaucoup, beaucoup, beaucoup… De toute façon, atteindre la félicité des grands maîtres, je ne sais pas. Je n'attends rien, à la limite. Ce que je fais, je le fais avec passion, par amour pour cette musique. Et je dis, comme on m'a transmis cet art, c'est un devoir de le transmettre à mon tour aussi.

Reconnaissance ou pas, bref, je sais qu'il y a une reconnaissance puisque quand je vois le public, c'est déjà merveilleux !

 

Entretien réalisé par Rabah Douik
"HORIZONS" mercredi 29 février 2012