Quand l'harmonie se conjugue à la parole
     
     
 

« Quand le musicien arabe saisit son luth ou son rabab (instrument à cordes frottées, emblématique de la musique arabo-andalouse) et improvise un istikhbar ou un mawwal, ils accompagnent un geste magique qui le relie aussitôt au monde des “sphères supérieures”. Car comme l'ont affirmé certains soufis, nos âmes ont visité le Paradis et y ont goûté des mélodies divines. Mais nos préoccupations terrestres nous les ont fait oublier ».

Introduction qui, comme un fil conducteur, nous guide dans les arcanes de la musique, des poèmes et des chants arabo-andalous décrits, d'une manière instructive, à travers les 91 de “La plume, la voix et le plectre”, de Saadane Benbabaali et Beihdja Rahal (ED: Barzakh 2009).

“La plume, la voix et le plectre” qui sera présenté par ses deux auteurs lors d'une rencontre-débat prévue le jeudi 2 avril au Centre Culturel Algérien à Paris, est un ouvrage pédagogique de par sa présentation et son style simple et instructif. Il s'adresse aux initiés et aux non-initiés et nous renseigne sur les différentes formes de cette musique savante, de la Nouba au Zajal en passant par le muwashshah.

« Le côté pédagogique est très important pour moi. Lorsque je suis face à un public dans une salle de concert, j'ai l'impression d'être face à des élèves dans un lycée. Mon souci premier et que chacun sorte de la salle enchanté par une belle musique, une belle interprétation, un bel orchestre mais aussi ; quelques explications claires : Que la musique andalouse ne soit plus pour lui ce monde inaccessible ». explique Beihdja Rahal qui insiste sur cet aspect important à plus d'un titre.

Pour Saadane Benbabaali, spécialiste de la littérature arabo-andalouse, cet ouvrage est « une contribution à la défense et à l'illustration de cet héritage inestimable qu'est la Nawba andalouse ». « Son répertoire, hérité de nos ancêtres andalous, a été façonné et enrichi par les générations d'interprètes et des musiciens maghrébins qui lui ont donné son empreinte finale », relève-t-il.

Généreusement illustrés, assorti d'un CD de Beihdja Rahal, le livre se laisse lire et convie le lecteur à « devenir ainsi le dépositaire d'un héritage fabuleux légué par des générations d'artistes. » Beihdja Rahal vient de signer, d'ailleurs, un nouvel album de la Nouba Sika, le cinquième du genre dans la seconde série des 12 noubas enregistrées jusque-là. Elle boucle ainsi son 18è opus qui revient sur des morceaux rarement chantés.

 

 

Interview Beihdja Rahal ...

La plume, la voix et le plectre, un livre sur les poésies et chants andalous à caractère pédagogique sur cette musique savante. Pourquoi avoir emprunté cette autre voie pour la transmission de ce savoir et de ce savoir-faire ?

Je suis licenciée en biologie, j'ai été formée à l'école normale supérieure (ENS) à Alger. J'ai enseigné les sciences naturelles au lycée. Le côté pédagogique est très important pour moi. Lorsque je suis face à un public dans une salle de concert, j'ai l'impression d'être face à des élèves dans un lycée. Mon souci premier et que chacun sorte de la salle enchanté par une belle musique, une belle interprétation, un bel orchestre mais aussi ; quelques explications claires : Que la musique andalouse ne soit plus pour lui ce monde inaccessible.

 

A travers cet ouvrage bilingue, en arabe et en français, coécrit avec M. Saadane Benbabaali, spécialiste de la littérature arabo-andalouse,  on sent que votre préoccupation première c'est la formation des jeunes. Est-ce par souci de préserver ce pan du patrimoine culturel algérien ?

Depuis plus de six ans, j'assure des cours de musique à Paris avec ELCO (l'enseignement de la langue et culture d'origine) qui dépend de l'école algérienne. La majorité de mes élèves sont des enfants scolarisés qui ne connaissent pas la culture algérienne au départ. Mon objectif est de les intéresser puis de leur faire aimer cette musique pour qu'ils deviennent, après des années de formation, les porteurs du flambeau, donc la relève de demain. La musique andalouse reste transmise essentiellement par « l'oralité », il est donc très important que les jeunes générations soient formées comme nous l'avons été avant eux.

 

Vous avez enregistre 17 albums de Noubas. Le fait de se « dépenser » autant pour promouvoir ce style de la musique arabo-andalouse devait donc être complété par la publication d'un texte, en l'occurrence, un ouvrage qui s'inscrirait dans la postériorité autant que les enregistrements. L'intitulé de livre, La plume, la voix et le plectre, reflète-t-il cette volonté ?

Le public m'a connu à partir de 1995, l'année où j'ai édité mon premier album musical « Nouba Zidane », depuis, il suit assidument mon travail et mon parcours. Il commence à poser des questions, il devine même le mode que je vais enregistrer, voire même les morceaux que je vais interpréter. Il est très important pour moi de lui donner des explications pour accompagner le chant. C'est à partir de là que j'ai pensé accompagner mes CD de livrets où l'on peut trouver la poésie chantée en arabe et sa traduction en français.

J'ai contacté Saadane Benbabaali, il ne me connaissait certainement pas, moi si, par ses cours et conférences à l'université et par ses interventions publiques. Il y a deux ans, après réflexion et discussion, nous avons pensé éditer un livre pour donner des réponses aux questions que se pose ce public de plus en plus fidèle et exigent. Habituellement, mes CD sont accompagnés d'un peu de lecture, dans cet ouvrage, la lecture est accompagnée de musique, ainsi, nous avons franchi les portes des librairies : Le monde de l'éducation, de la connaissance…

 

Beihdja Rahal a-t-elle un projet similaire, un ouvrage en cours, qui s'inscrirait dans la même lignée ?

“La plume, la voix et le plectre” n'est, je l'espère, qu'un premier d'une série d'ouvrages de ce genre. Avec Saadane, nous sommes déjà en train de rassembler nos idées pour un deuxième. Et s'il y a un deuxième, il a forcément un troisième !

 

 

Interview Saadane Benbabaali ...

Pourquoi ce titre : La plume, la voix et le plectre ?

C'est un titre qui s'est imposé naturellement à moi grâce au sujet que traite le livre : la nawba andalouse. Celle-ci est en effet l'œuvre de trois protagonistes fondamentaux: le poète, le chanteur et l'instrumentiste. Le premier, avec sa plume, a composé les merveilleux poèmes appelés muwashshaht et azdjâl, le second les fait vivre grâce à sa voix et le troisième les habille de superbes mélodies grâce son plectre.

Enfin, pour la petite histoire, ce livre est né grâce à Beihdja Rahal qui est « la voix », mon ami Naji Hamma qui est le plectre et moi-même qui suis la plume de cet ouvrage. Je rappelle que le livre est accompagné d'un superbe album où Beihdja Rahal donne à savourer la Nawba Raml.

 

Quel objectif visiez-vous à travers cet ouvrage qui se veut, je suppose, pédagogique ?

Ce livre est une contribution à la défense et à l'illustration de cet héritage inestimable qu'est la nawba andalouse. Son répertoire, hérité de nos ancêtres andalous, a été façonné et enrichi par les générations d'interprètes et de musiciens maghrébins qui lui ont donné son empreinte finale. Nous voulions rendre hommage à tous les artisans qui ont donné à cette musique une dimension universelle.

Le texte de l'ouvrage se veut à la fois pédagogique par les analyses qui y sont développées et esthétique par son mode d'expression, sa part poétique et les photos magnifiques qui s'y trouvent. Il s'agit d'une étude complète du muwashshah et du système de la nawba ainsi que la traduction des poèmes chantés par Beihdja Rahal. Sans nier l'importance de ce qui a déjà été publié au sujet de la sanaa algérienne nous avons tenté d'apporter un nouvel éclairage dans un domaine où les œuvres théoriques sérieuses sont plutôt rares. C'est un ouvrage qui, je l'espère, permettra de répondre à certaines questions tout en donnant du plaisir à ses lecteurs.

 

Vous êtes spécialiste de la littérature arabo-andalouse. Vous appuyez également des associations qui perpétuent ce patrimoine et œuvrent à le promouvoir en France. Le fait d'avoir coécrit cet ouvrage s'inscrit-il dans cette même optique ?

Cela fait plus de 30 ans que je suis entré dans l'univers magique de la musique et de la poésie andalouses et je crois que je ne le quitterai jamais tant que je serai en vie. Ibn Sanaa al-Mulk, un lettré égyptien du 13e siècle écrivait à leur propos que “leur connaissance est un enrichissement pour l'esprit et leur ignorance une tare. Celui qui continue à ignorer les muwashshahât après les avoir entendues n'a pas sa place dans le monde civilisé.”

Au lieu d'être un simple consommateur, je partage depuis des années, avec tous les amateurs de cette tradition musicale, les résultats de mon travail de chercheur en poésie andalouse et ma pratique de cette musique. J'exprime à cette occasion ma gratitude à tous les amis qui m'ont permis de percer quelques secrets de la nawba et notamment mon ami Farid Bensarsa. J'ai d'abord contribué à la diffusion de la poésie andalouse en introduisant son enseignement à la Sorbonne où j'exerce mon métier.

Ensuite j'ai fait connaître la richesse du muwashshah et de la nawba et le travail des Associations de musique grâce aux conférences que j'ai données sur le sujet au Portugal, en Espagne, en Angleterre, en Syrie et récemment à l'Université d'Alger. J'ai traduit des dizaines de poèmes chantés par Larinouna, Omar Benamara et surtout Beihdja Rahal avec qui je travaille depuis de longues années. Enfin, avec La Plume, la Voix et le Plectre, j'entame en collaboration avec Beihdja Rahal une série de publications concernant des poètes et des interprètes de l'art arabo-andalou-maghrébin.

 

Vous êtes en France et il existe plusieurs associations qui travaillent pour faire connaitre cette musique savante dans l'Hexagone. Quelle appréciation apportez-vous à leur travail, noble en soi, et quelle est la place de cette musique dans le paysage culturel en France, au moment où la diversité, mais sur d'autres plans, est dans l'air du temps ?

Il faut absolument saluer le travail de tous les acteurs -musiciens, interprètes, enseignants, éditeurs- qui œuvrent en France à la préservation et à la transmission de ce patrimoine musical. Par leur travail, ils contribuent à la visibilité de la communauté maghrébine par ce qu'elle a de plus raffiné et de plus valorisant : la poésie, le chant et la musique.

J'ai côtoyé pendant plus de trois décennies des femmes et des hommes dont j'ai pu constater qu'ils sont les dignes “héritiers de Ziryab”. Paris est devenue une capitale de la nawba andalouse avec des Associations comme El Mawsili, Amel, as-Safina, les Airs Andalous, Al-Andalousiyya, Maya etc… sans parler de l'enseignement discret mais combien efficace de Beihdja Rahal ainsi que d'autres personnes que je ne peux pas toutes citer. Ces Associations transmettent l'héritage andalou dans toute sa diversité avec des approches différentes mais complémentaires.

Grâce à elles, la musique andalouse a maintenant un public nombreux et fidèle que l'on retrouve à tous les concerts donnés dans les salles parisiennes du CCA, de l'IMA, du Théâtre de la Ville etc… “La plume, la voix et le plectre” est dédié à tous les artistes et amateurs de la musique andalouse. Sa publication en Algérie, par les Éditions Barzakh, grâce au soutien de l'ONDA, est notre façon de partager ce que nous avons appris en France avec nos compatriotes et de maintenir les liens avec notre patrie d'origine.

 

Propos recueillis par A. Fatiha
"KALILA" revue du Centre Culturel Algérien à Paris, avril 2009