Dans l'ultime plaisir de la nouba
     
     
 

Elle est l'une des interprètes les plus brillantes d'un art séculaire auquel elle a donné quelques lettres de noblesse. Cette grande artiste du répertoire arabo-andalou qu'est Beihdja Rahal a été fondamentalement initiée par le maître Mohamed Khaznadji, au Conservatoire d'Alger.

Beihdja Rahal a rejoint en 1982 la célèbre association El-Fakhardjia et a longuement effectué ses débuts en musique au TNA, où elle se distingue par l'interprétation d'un long solo de la nouba en mode H'sine. Elle est ainsi repérée par Zerrouki Bouabdellah, qui est très connu comme ingénieur du son et à qui l'on doit, entre autres, une belle série discographique autour du maître Mohamed Khaznadji. Beihdja, en parallèle avec sa vie d'artiste, est aussi étudiante en biologie. Elle est aussi enseignante et compte très peu sur ses allants artistiques pour gagner sa vie, en l'absence d'un statut de l'artiste en Algérie.

En 1983, feu maître Abderrezak Fakhardji la choisit pour interpréter une nouba complète dirigée par le cheikh Hamidou Djaïdir, lors d'un concert donné à Alger et diffusé par la télévision algérienne. Dans la suite de ce parcours logique vers le succès, elle part sur Paris en 1992, et c'est là qu'elle donne vie aux nombreux projets musicaux imaginés par Zerrouki, avec un premier enregistrement, sur le mode Zidane, en 1995, et un deuxième opus composé sur le mode Mezmoum, en 1997. Ensuite, c'est un troisième volet consacré au mode Resd, en 1999. Et puis, c'est en 2000 qu'elle se produit pour la première fois sous son nom en Algérie.

Encouragée par l'accueil exceptionnel du public, Beihdja réalise, en dix ans, le tour de force de mettre «en boîte» les douze noubas de l'école algéroise la san'â, une première dans l'histoire de cet art, jusque-là chasse gardée des hommes. Beihdja n'entend pas s'arrêter en si bon chemin, comme en témoigne sa discographie. Avec un deuxième tour des douze noubas, elle en est à son dix-huitième album. Depuis plus de six ans, et dans un souci de sauvegarde de ce patrimoine classique, elle donne des cours de musique et de chant à Paris.

Beihdja Rahal rayonne dans l'interprétation du mode andalou, par sa voix délicate et ses phrasés cristallins d'un rare lyrisme, car, bien évidemment, ce style musical classique, qui porte aux nues l'authenticité et la pureté du jeu, est très ancré dans l'exigence de l'art de la discipline. Il faut dire aussi que son interprétation exige de la chaleur, de l'âme et du sentiment. C'est ainsi que Beihdja Rahal dégage une émotion qui comble le public à chacune de ses apparitions, en Europe et dans le monde.

Elle sera accompagnée lors de son concert du 5 février prochain, à l'Institut du monde arabe, de Nadji Hamma au luth, de Noureddine Aliane à la mandoline, de Mokrane Boussaïd au violon alto et de Hocine Soudani à la derbouka, avec, bien-sûr, à la kouitra Beihdja Rahal elle-même. De bien beaux moments de grâce chaleureuse dans les arcanes hivernales et glaciales de Paris.

 

Jaoudet Gassouma
"LE JEUNE INDEPENDANT" lundi 1er février 2010