Le chant andalou, un legs à sauvegarder  
     
     
 

Beihdja Rahal, qui n'est plus à présenter tant sa notoriété est grande, continue son challenge de préserver la compilation de la musique andalouse, un patrimoine atavique riche qui n'a pas pris une ride malgré les siècles. En digne dépositaire de cette musique, elle tend à sa sauvegarde et sa conservation, elle qui a côtoyé les grands maîtres comme Fakhardji et Khaznadji.

Ayant délaissé l'enseignement des sciences naturelles pour sa passion, cette musicienne, qui manie aussi bien la kouitra que la mandoline, reste une figure incontournable de la musique andalouse. Son parcours jalonné de succès l'a exhortée à maintenir le cap. Ses concerts, où l'extase est assurée, permettent de mieux appréhender le talent de cette soliste. Ses recherches fructueuses dans ce domaine lui ont permis la sortie de multiples CD qui nous introduisent dans cet univers enchanteur de cet héritage andalou.

Son ouvrage, La plume, la voix et le plectre est un précieux vade mecum se déclinant dans une initiation de la poésie andalouse avec son faste d'antan.  Dans cet entretien, Beihdja Rahal, dont le souci est ce travail de collecte des diverses noubas, rappelle que cette musique reste toujours d'actualité.

 

Votre ouvrage La plume, la voix et le plectre a-t-il été fait pour divulguer la musique andalouse ?

Il a été édité pour essayer, par des rappels historiques, des explications et des analyses, d'introduire le lecteur non initié au monde merveilleux de la poésie et du chant andalous.

 

Pourquoi avoir choisi la collaboration de l'éminent professeur Saâdane Benbabaâli ?

Le docteur Saâdane Benbabaâli est maître de conférences à l'université Paris III. Il est spécialiste du mouwashah andalou et il est l'auteur de nombreux articles sur la littérature arabe et andalouse médiévale. Je ne pouvais penser à un ouvrage de ce genre sans le faire intervenir. Je tiens à préciser que notre collaboration ne date pas d'une année, puisqu'il traduit les textes que je chante dans mes albums depuis longtemps. C'est à partir de là que nous avons eu l'idée, ensemble, d'éditer un livre de poèmes et chants d'Andalousie.

 

Y a-t-il urgence à sauvegarder et à préserver ce legs historique musical ?

Lorsque j'ai commencé à enregistrer mes albums, c'était juste par plaisir personnel et parce qu'il n'y avait aucun CD de noubas disponible sur le marché algérien. Ça a plu, le public en a demandé plus, je ne pouvais en espérer autant. Ça m'a donné le courage et la force de continuer et le bonheur de présenter chaque année du nouveau.

Le patrimoine andalou est toujours en danger tant qu'il n'a pas été enregistré dans sa totalité, et surtout mis à la disposition des interprètes et musiciens de ce genre et le grand public. Chacun de nous se doit de transmettre tout ce qui est en sa possession, nous sommes déjà dans la préservation. Vient ensuite l'écriture qui peut, pourquoi pas, être un moyen supplémentaire de sauvegarde même si la priorité reste la transmission orale.

 

Avez-vous un autre CD en préparation ?

Dès que je termine l'enregistrement d'une nouba, je commence à réfléchir et à penser à la suivante. Ce qui est merveilleux, c'est que le public suit pas à pas mon travail, c'est très motivant. Ça ne m'empêche pas de prendre beaucoup de temps avant de rentrer en studio et de bien choisir le mode à enregistrer et les morceaux que je vais interpréter. On ne parle que des enregistrements alors qu'on oublie de parler des concerts. Le travail de préparation est aussi important. Je viens de rentrer d'une petite tournée organisée par l'Onci.

J'ai chanté à Sidi Bel Abbès, à Ténès, à Skikda, à Oum El Bouaghi, à Khenchela, à Alger au Mougar, en plus d'un autre concert au palais de la culture Moufdi Zakaria. C'est beaucoup de travail et de répétitions avec les musiciens et toute l'équipe qui assure le bon déroulement de la tournée. Les concerts me donnent une idée sur ce que pense le public du travail accompli et même de la musique andalouse. J'essaie de le rencontrer à chaque fin de spectacle.

Il est différent d'une région à une autre. C'est le public de l'Algérie profonde, des villes et villages retirés qui m'intéresse aussi. J'ai rencontré des jeunes qui n'ont jamais écouté ce genre musical. C'est à eux que je parle en milieu de récital pour leur dire que ce patrimoine leur appartient aussi, il est national et non pas la propriété de certaines grandes villes.

 

Pensez-vous être en mesure de reprendre en CD les noubas qui ne se sont pas égarées ?

Etre en mesure ? Je l'espère de tout mon cœur. Je ne prétends pas avoir le patrimoine dans sa totalité en ma possession. Ce qui est sûr, c'est que je travaille dur pour en récupérer le maximum. J'ai eu la chance d'avoir comme maîtres et professeurs des références dans ce genre musical qui m'ont appris à donner, je souhaite à mon tour passer le flambeau.

Je suis à mon 18e album en plus de l'ouvrage La plume, la voix et le plectre. Ce travail n'aurait jamais pu se réaliser sans le soutien de toute une équipe : Zerrouki Bouabdellah, l'ingénieur du son qui a cru en moi dès mes débuts dans les années 80. Saâdane Benbabaâli qui traduit la poésie de mes albums. L'Office national des droits d'auteur et des droits voisins (Onda) et la banque HSBC m'aident beaucoup dans la préservation et la sauvegarde de ce patrimoine.

 

Quels sont vos projets en cours ?

En novembre, je serai à Nancy pour animer des ateliers de musique andalouse, puis présenter, avec Saâdane Benbabaâli, notre ouvrage édité chez Barzakh. J'ai deux concerts programmés en 2010 à Paris.  Le premier à l'Institut du monde arabe, le second au Centre culturel algérien, chacun avec un thème différent. Toujours avec Saâdane Benbabaâli, nous préparons notre deuxième ouvrage, il est pratiquement au stade de finition. Dès le début du mois d'octobre, je reprends les cours de musique que je donne à Paris depuis une dizaine d'années à l'école algérienne Elco.

 

Entretien réalisé par Kheira Attouche
"LE TEMPS" samedi 26 septembre 2009