Portrait de Beihdja Rahal par Kamel Bouchama (extraits) | ||
... Aujourd'hui, en France où elle se trouve, elle est corps et âme dans sa musique. C'est une battante, élevée dans la tradition du don de soi, de l'engagement et du sacrifice, dans un milieu déjà qui favorise les valeurs fondamentales, ne permet pas les atermoiements et autres subterfuges quand il s'agit de montrer du sérieux dans un projet qui représente notre culture, notre patrimoine. C'est pour cela, également, que toute modeste qu'elle est, est en train de faire de grands efforts pour nous faire revenir à l'authenticité, cette qualité qui nous permet d'apprécier notre position ô combien digne dans le concert de la musique arabo-andalouse, la vraie, prodigieuse et… fascinante. ... Beihdja, aujourd'hui, a mûri, et ce style et ce nom, les siens, qu'on évoquait dans un précédent paragraphe, nous obligent à en parler aisément au présent. Car, au présent, elle s'impose, elle rayonne dans tous les pays du Maghreb, et en Europe, où elle se produit assidûment avec son ensemble au talent exceptionnel. Bien connue également dans «Bilâd al mouwashshahat», au Liban, en Jordanie, en Egypte et ailleurs, elle a séduit ces réputés «mounchidine», aux oreilles attentives, qui ne vivent que de leur art et dont la voix vous retourne l'âme et vous chavire le cœur. Avoir l'agrément de ces spécialistes à l'ouie très fine, est une sérieuse attestation pour les postulants à la gloire dans ce vaste Moyen-Orient. Et Beihdja a su être à la hauteur dans tous les examens que l'amour de la musique lui a imposés. Oui, Beihdja a mûri, et de sa voix suave, limpide, elle joue avec sa gorge, en émettant des sons harmoniques, comme si elle jouait avec sa mandoline. Le chant, chez cette Diva de l'andalou – nous insistons sur cette qualité même si elle la refuse – exprime ses états d'âme et libère ses émotions. Elle interprète de grandes poésies en mettant tout son cœur pour nous envoûter, nous séduire et nous entraîner dans ce havre de paix aux sonorités harmonieuses. Elle possède cette volonté de se dépasser en qualité qui lui commande une gymnastique difficile à travers l'émission simultanée de deux sons en même temps qui donnent plus de beauté à son interprétation de morceaux choisis. Ainsi, face à Beihdja Rahal, en spectateur assidu et en mélomane convaincu, l'on perçoit en ses œuvres cette forte personnalité et cette vigueur dans l'exécution qui font, comme disait un spécialiste de la voix, que «son énergie se transforme, sa vitalité s'accroît, ses sens et son mental étendent leurs champs de perception, son être réintègre sa place dans l'univers». Et comment n'est-elle pas tout cela ? Comment n'est-elle pas la poésie et le chant qui s'expriment à travers elle ? Imposante sur scène, elle inspire du respect d'abord et de la confiance ensuite. Ce respect et cette confiance, elle nous les offre, spontanément, mais aussi intentionnellement, parce qu'elle souhaite, par ailleurs, que ce qu'elle chérit le plus, cet «art andalou» ancestral, doit évoluer constamment pour combattre une certaine tendance qui nous fait glisser vers une phase décadente à cause de compositions musicales à l'emporte-pièce, signes inquiétants d'un divorce entamé avec l'authenticité et l'identité culturelle de notre pays. En effet, Beihdja Rahal est là, plus présente que jamais. Elle produit beaucoup, et son palmarès est éloquent : elle est à son vingtième album dans tous les modes connus de la Sanaa andalouse. Elle est là, elle se refuse d'être en marge de cette ébullition culturelle et scientifique. Elle brille par son ingéniosité et sa compétence, à l'image de ces femmes que l'Histoire évoque et célèbre en lettres indélébiles, pour les faire connaître et les immortaliser. Elles sont nombreuses, et notre mémoire, quelquefois défaillante, n'ose les nommer une à une, au risque d'oublier peut-être les plus importantes parmi elles. C'est ça Beihdja Rahal, une femme de caractère qui fait de son engagement, dans la musique classique algérienne, une éducation qui pousse de toutes ses vigoureuses racines. Et là, où elle se produit, elle laisse quelque chose…, qui vous accroche, qui vous émeut et qui vous rappelle ces parfums d'une époque autrement plus conviviale, plus dynamique, où l'art et la culture vivaient en totale symbiose avec la beauté de la nature qui inspirait aux gens des ardeurs exceptionnelles. Cette Dame – et là, le terme lui sied convenablement –, d'une certaine prestance lorsqu'elle interprète ses «classiques», qui ont fait autorité antan, pendant cette période de noblesse culturelle, veut à chaque occasion nous communiquer, pour nous la faire aimer davantage, cette poésie qui est pure, directe, suave et pleine de sensibilité. C'est ainsi, que dans ce dernier ouvrage, intitulé : «La joie des âmes dans la splendeur des paradis andalous», Beihdja, par ses chants lors d'un concert live et Saadane Benbabaali, par un essai sur la poésie florale et ses traductions de plus de cinquante azdjâl, nous invitent à « revisiter » l'univers parfumé et coloré du paradis perdu, le Firdaws al-mafqoud. Beihdja a entrepris depuis sa rencontre, il y a plus d'une décennie, avec Saadane Benbabaali, maître de conférences à Paris III, spécialiste de littérature arabo-andalouse, un long travail de défense et d'illustration de l'art poétique et musical andalou. Le professeur a signé les traductions de toutes les pièces chantées par Beihdja dans les sept derniers albums. Co-auteurs d'un premier ouvrage, La plume, la voix et le plectre paru en 2008, ces deux passionnés de l'héritage de Ziryab et des washshâhoun andalous poursuivent leur chemin avec un nouveau bouquet poético-musical : Fleurs et jardins dans la poésie andalouse . Comment alors, Beihdja, l'universitaire, exigeante quant au sens précis des mots qu'elle chante et consciente de leur juste valeur, ne tenterait-elle pas, avec ce poéticien inspiré, de «saisir le fonctionnement d'un thème particulier dans la poésie strophique andalouse appelée muwashshah et zadjal» ? Que dire enfin, dans ce modeste propos qui fait le portrait d'une artiste, d'une grande…, vraiment grande ? Que nous avons de nobles sentiments de respect et de considération à l'égard de cette dame qui nous réconcilie avec le bel art, l'authenticité, et nous promet un meilleur avenir pour la nouba andalouse qui retrouve, avec elle, toute sa fraîcheur. Mais, à travers ces mots sincères et sans complaisance aucune, je l'avoue, d'aucuns verront peut-être dans ce texte un panégyrique, une apologie…, ceci n'est point vrai. Ce n'est que la juste réponse, à un travail assidu, à un engagement courageux, volontaire, de celle qui s'est vouée à une merveilleuse cause : celle de purifier et de mettre en valeur un patrimoine qui a été, malheureusement, longtemps soumis à l'indifférence des hommes et, le plus souvent, à leur ignorance de ces trésors valeureux qui témoignent de notre remarquable culture. N'est-ce pas beau, aujourd'hui, d'apprécier Beihdja Rahal, dans un concert, auguste et impressionnante au milieu de son orchestre, nous livrer de sa voix tendre et douce, de sa «voix andalouse» comme l'écrivait Sofiane Hadjadj, les meilleures noubas de ce patrimoine des ancêtres ?
Extraits du portrait de Beihdja Rahal par Kamel Bouchama |
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