Beihdja Rahal, interprète la musique arabo-andalouse
     
     
 

Beihdja Rahal est l’une des rares femmes solistes de oùd, ou plutôt de kouitra, sa version algérienne. Formée au conservatoire d’Alger, elle défend la musique arabo-andalouse, dont la transmission est orale depuis des siècles. Elle a aujourd’hui à son actif 7 CD et donne des concerts dans de nombreux pays.

Comment vous est venue votre passion pour la musique ?

C’est venu très jeune. Je suis entrée au conservatoire à l’âge de 12 ans. Mes parents m’avaient inscrite, comme tous mes frères et sœurs. La musique était un loisir en plus de l’école mais avec le temps c’est devenu une passion.

 

Vous avez commencé avec le luth ?

Non, j’ai commencé à la mandoline, qui est un instrument de base pour la musique arabo-andalouse.

 

Pourquoi avoir choisi la musique traditionnelle ?

Je voulais commencer à jouer d’un instrument tout de suite et, pour la musique classique occidentale, il fallait d’abord faire une année de solfège. Mais la musique arabo-andalouse étant une tradition orale, le solfège n’était pas nécessaire pour l’initiation. On l’apprend plus tard, comme un plus.

 

Tradition orale, cela veut dire que l’on ne lit pas de partition ?

Non, on ne lit pas de partition. En concert, les partitions que nous avons sont celles des textes de poésie que nous chantons en même temps. Avant, il existait 24 noubas, car chacune correspondait à une heure de la journée. Aujourd’hui on n’en a plus que 12 ; les autres se sont perdues, à cause de la transmission orale.

 

Comment apprend-on cette musique dans un conservatoire ?

Le maître est là, l’élève est en face, et il reprend ce que le maître vient d’interpréter devant lui.

 

On n’a pas le droit d’improviser ?

Non, il faut reproduire exactement la musique, comme pour Mozart ou Beethoven. Mais la nouba peut être enrichie par d’autres pièces, comme le istikhbar, en introduction, qui est une improvisation vocale et instrumentale.

 

La musique arabo-andalouse est-elle la même du Maroc à Damas ?

Oui, mais quand les arabes sont revenus d’Andalousie au Maghreb avec ce patrimoine, qui avait pour origine Bagdad, les Berbères ont mis leur empreinte et ça a donné la musique andalouse maghrébine actuelle. A Damas, aujourd’hui, c’est une autre musique.

 

A partir de quand avez-vous fait de la musique votre métier ?

A partir de 1992, quand je me suis installée en France. Parce qu’en Algérie, c’était plus difficile. Il y a des associations, des orchestres privés, qui jouent de la musique et l’enseignent à des enfants. J’ai fait partie de deux associations, El Fakhardjia et Soundoussia. Mais en Algérie on n’a pas de statut d’artiste. J’enseignais dans un lycée, et je ne pensais pas faire, un jour, de la musique un métier.

 

Que voulez-vous dire par « il n’y a pas de statut d’artiste » ?

D’abord pour la sécurité sociale. Quand je donne des concerts là-bas, j’ai un contrat, mais les musiciens n’ont pas de fiche de paye. Ici, il y a les congés-spectacles, les Assedic, on est intermittents du spectacle, le statut existe.

 

Parlez-moi de vous, femme, dans ce métier de joueur de oùd qui est traditionnellement masculin ?

Nous ne sommes pas nombreuses. Dans les associations, il y a des musiciennes, mais elles sont rares et, souvent, ne continuent pas jusqu’au stade professionnel.

 

Ce patrimoine musical arabe est-il menacé par la modernisation ?

Oui, mais aujourd’hui nous avons d’autres moyens de transmission : le CD, les écoles… Je suis professeur au centre culturel Algérien. On parvient aujourd’hui à sauvegarder ce qui nous reste. Il y a aussi d’autres essais, comme la transcription sur partition, pour aide-mémoire. Mais surtout, aujourd’hui, cette musique intéresse beaucoup de monde.

En Algérie, je le sens, il se crée beaucoup d’associations : en 1932, il n’y en avait qu’une, la doyenne, El Mossilia. Maintenant on en a une vingtaine, rien qu’à Alger. Mes 7 disques sont sur le marché, alors qu’il y a 10 ans, on pouvait faire tous les disquaires d’Alger sans trouver une seule nouba.

 

Vous vivez en France sans nostalgie ?

Oui, car j’ai le privilège d’aller en Algérie huit à dix fois par an. C’est un plus, au contraire, de vivre entre deux pays. C’est comme ça qu’un artiste développe sa création.

 

Nadia Khouri-Dagher
"YASMINA" No 2, novembre 2002