La Nouba Raml el maya 1 |
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En ma qualité de femme musulmane et de musicienne interprète qui a opté pour une carrière professionnelle dans un domaine longtemps chasse gardée des hommes, j’ai eu envie de donner mon point de vue sur le statut de la femme dans la tradition musicale maghrébo-andalouse… même si cette démarche peut paraître ‘déplacée’ dans un livret accompagnant un album musical. Le statut de la femme musulmane en terre d’Islam Traiter du statut de la femme-artiste dans la tradition musicale maghrébo-andalouse, impose d’évoquer, ne fut-ce que brièvement, le statut de la femme musulmane en terre d’Islam. Historiquement, la femme musulmane n’a pas toujours connu la marginalité qui fut la sienne durant tant de siècles –il convient de rappeler que dès la naissance de l’Islam, on relève le rôle public important que les femmes ont tenu au sein de la société musulmane en formation notamment grâce au rôle tenu par Khadidja, la première épouse du Prophète, puis celui de Aïcha sa compagne préférée… (ndla)– et encore aujourd’hui à des degrés divers. En effet, nombreuses furent les femmes qui se distinguèrent dans les sciences religieuses et littéraires. Parmi elles : Aïcha de Jérusalem, pédagogue, Fatima, fille de Jamai Eddine Eddimachqi qui obtint des licences d’enseignement, mais aussi, Fatima de Samarkand, auteur de nombreux traités (en jurisprudence et sciences coraniques), Fatima Qamirizàn qui assura, au 10ème siècle, la direction de deux grands instituts, Bent Essaïgh, professeur de médecine à l'institut Mansouriah d'Egypte, Chehda Deinouria, une des sommités du 20ème siècle qui publia de nombreux ouvrages en théologie et en Droit… Dans les salons littéraires… En musique et en littérature, les artistes féminines furent encore plus nombreuses et suscitèrent une admiration unanime. Des salons littéraires furent organisés, dès le 9ème siècle en Arabie et ailleurs, sous les auspices de femmes artistes, telle que Soukeina. Ces salons qui regroupaient, autour de femmes lettrées, les plus grands poètes de l’époque, constituaient de véritables centres de rayonnement culturel propageant en même temps le sens du raffinement social, le goût littéraire et le talent artistique. Grenade était la cité littéraire, par excellence. Des femmes lettrées y excellaient dans la langue arabe, et certaines d’entre elles furent renommées pour leurs talents calligraphique, poétique, de musicienne et de chanteuse... En même temps, hélas, l’engrenage idéologique de marginalisation de la femme avait commencé à produire ses efforts néfastes sur l’ensemble des pays musulmans… ‘Interdites’ de noubas Ce qui caractérise la situation de la femme dans la chanson arabo-andalouse, c’est… leur absence. En effet, il n’y a quasiment pas eu de femmes qui se soient emparées de la tradition dite ‘noble’, comme celle qui consiste à chanter des noubas. Or, si les femmes étaient cantonnées uniquement, à ce qu’on appelle (*)m’sam’î ou à un dérivé de l’arabo-andalou, ce n’étaient pas faute de compétences, mais parce que la société algérienne ne leur donnait pas les moyens de pouvoir s’adonner à la tradition savante maghrébo-andalouse (pas de lieu pour apprendre, pas de moyens matériels, peu de temps…)… et leur interdisait l’accès à l’espace public. Citons l’exemple de M’âalma Yamna, (1859 – 1933) Elle a eu un apprentissage musical en plus d’un enseignement en langue arabe. Particulièrement douée pour jouer de tous les instruments à cordes de cette époque, elle perfectionna ses connaissances auprès de Cheikh M’nèmèche et de son disciple Mohamed Sfindja. Elle fut l’unique musicienne qui parvint à égaler les talentueux maîtres Benteffahi, Mouzino... Elle réussira à parfaire sa formation en côtoyant -et parfois même en bousculant- ces maîtres incontestés de la poésie classique andalouse. Sa notoriété et son succès ont suscité des réactions envieuses de la part des cheikhs-interprètes établis à cette époque. Des compétences indiscutables Dans les années 60, l’indépendance de l’Algérie ou la scolarisation des jeunes filles, ont contribué à la libéralisation de la femme; et pour certaines à l’affirmation de leurs talents artistiques. Toutefois, si les femmes ont désormais la possibilité de chanter ces traditions sophistiquées, la société algérienne demeure beaucoup plus exigeante avec ses artistes féminines que ses artistes masculins –on le constate lorsqu’il s’agit de chanter que des inqilabate par exemple–. A l’aube du XXIème siècle, cette ‘ouverture’ ne peut que se poursuivre au vu du nombre d’associations qui existent aujourd’hui et qui participent à l’émergence de nouveaux talents féminins… Mais ce ne sera possible que si la volonté de ces artistes est très forte et si elles ont la chance de grandir dans un milieu qui reconnaisse et encourage le talent quelque soit la forme qu’il prend. Il est important que l’on prenne conscience qu’une société qui se prive de la force créative et du génie de plus de 50 % de sa population (ses femmes !), est condamnée à s’appauvrir et à perpétuer un état de décadence et de sous-développement… Il est temps que ça change !
Aujourd’hui, je fais partie de ces femmes qui se sont emparées de cette tradition dans sa forme la plus exigeante et la plus élaborée ; et qui ont la chance de réaliser une carrière professionnelle. Ma démarche artistique privilégie une interprétation rigoureusement classique de la nouba selon l’esthétique de l’école d’Alger, la çan'â, (musique classique qui est un des nombreux genres du patrimoine musical algérien qui regroupe le répertoire de la Nouba et des inqilabate), «un style léger, hautement fleuri et enjolivé, qui porte au rêve, au vertige et à I'ivresse mystique… ». En choisissant de me produire en public, je relève le défi que la femme, aussi bien que l’homme, est capable de s’approprier une tradition considérée comme une tradition savante et dont nous avons tous la conviction qu’elle est un des monuments, de ce que la civilisation universelle a eu en héritage, de la civilisation arabo-musulmane.
Beihdja Rahal
Beihdja Rahal, est née à Alger, dans une famille où la pratique de la musique arabo-andalouse était chose courante. Imprégnée dès son jeune âge par les arcanes de cet art, Beihdja Rahal a poursuivi son éducation musicale avec de grands maîtres du classicisme arabo-andalou : Les plus connus étaient Abderrezak Fakhardji, Mohamed Khaznadji et Zoubir Karkachi. En 1982 elle rejoint l’association Fakhardjia où elle devient une des principales solistes. En 1986, elle est un des membres fondateurs de l’Association Musicale Essoundoussia où elle enseigne la musique jusqu’en 1992. En parallèle, Beihdja Rahal, titulaire d’une Licence en Biologie, enseigne les Sciences Naturelles dans un lycée d’Alger. En septembre 1992, Beihdja Rahal s'installe en France et décide de se consacrer exclusivement à sa carrière artistique. Deux ans plus tard elle fonde son ensemble, préférant une formation de chambre prompte aux improvisations.
«La première fois que j’ai chanté une nouba complète sur scène, c’était en 1983 à la demande du Maître Abderrezak Fakhardji «nouba rasd eddil», j’étais accompagnée d’un orchestre de 40 musiciens.» «En 1992, je me suis installée à Paris avec l’envie de faire connaître cette musique.» «Je n’ai commencé à enregistrer qu’à partir de 1995, après plus de 21 ans d’apprentissage et de formation. Les trois premières noubas ont été enregistrées à Paris, les suivantes ont été enregistrées en Algérie. Cette nouba, «Raml el maya», est la 10ème. J’ai eu la chance de pouvoir choisir le studio et le pays. J’ai préféré travailler à Alger où je pouvais trouver les meilleurs musiciens et tous les instruments traditionnels qu’on peut avoir dans un orchestre. Je profite aussi des conseils et du savoir des maîtres encore vivants avant d’enregistrer, pour rester le plus proche de l’authenticité. Parmi eux, Sid Ahmed Serri, le maître actuel de l’école d’Alger.» «J’ai donné plusieurs concerts dans toute la France, en Europe (Italie, Allemagne, Espagne, Andorre, Angleterre, Suisse, Portugal…) et dans quelques pays arabes (Jordanie, Tunisie, Maroc…) depuis 1994.» «Le voyage ou le concert qui m’a le plus marqué est celui que j’ai donné à L’Ile de La Réunion, où j’ai eu la chance de rencontrer une grande figure de la culture algérienne : Cheikh El Hasnaoui, alors âgé de 92 ans. Il est décédé 16 mois après.»
Ce CD comporte les morceaux suivants:
1. Inqilab: Rit erryad (le jardin est apparu) Le jardin est apparu à mes yeux vêtu d'une parure fleurie
2. M'cedar: Djismi fani (ton amour me consume) Ton amour me consume alors que ma passion pour toi grandit
3. B’taîhi: Houbbi houbbi (mon amour croît chaque jour) Mon amour croît chaque jour
4. Istikhbar: Ouatamalek’toum âqli (vous vous êtes emparés de mon esprit) Vous vous êtes emparés de mon esprit, de ma vue, de mon ouïe,
5. Dardj: Men yaqoullek (quiconque te dit) Quiconque te dit que son amour pour toi le torture autant que moi…
6. Insiraf 1: Qad djoummiâ (neuf qualités réunies) Neuf qualités réunies distinguent celle qui me martyrise, objet de mon amour:
7. Insiraf 2: Kif el âmel (que faire) Que faire face à l'affligeante épreuve de l'amour ?
8. Insiraf 3: Beyn edhoulou’î (tout mon être est plein de blessures) Tout mon être est plein de blessures que tu lui as causées et que je ne puis guérir.
9. Khlass 1: Âchyatoun (une soirée) Une soirée en or a éclairé de sa splendeur le grand arbre du jardin
10. Khlass 2: Harramtou bik nouâssi (je ne trouve plus le sommeil) Je ne trouve plus le sommeil Ô souveraine des gazelles
11. Qadria: Qualbi ouala men âlam bih (nul n’a conscience des souffrances) Nul n'a conscience des souffrances qu'endure mon cœur
Traduit de l'Arabe par Tarik Hamouche
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