La Nouba Zidane 1 |
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Le vingtième siècle avec ses nombreux bouleversements socio-politiques est également celui de la musique arabe andalouse Jamais un art n'a autant été sollicité, encouragé, discuté, chouchouté: jamais sa dimension n'aura été si étendue et sa portée aussi vaste. Tout cela permet d'affiner la recherche: les publications dans ce domaine ne se comptent plus et cet art est de surcroît en mesure d'offrir à l'auditeur, une palette aussi variée que multiple d'interprètes et de musiciens qui en sont ses premiers défenseurs et ses transmetteurs. Désormais il devient naturel de se laisser entraîner ou d'être transporté par la voix de tel ou tel interprète et ceux-ci l'emportent désormais dans le plaisir de l'écoute. Ils oblitèrent parfois le vecteur historique que ce patrimoine est censé représenter puisque que la Nouba, forme par excellence de l'art arabo-andalou, valorise un pan important du passé qu'il véhicule et inocule, à chacune de ses manifestations en le plaçant au présent. En fait deux domaines se présentent sous nos yeux: l'étude de cette musique en tant que phénomène à part entière et l'attraction envers ceux qui la font. Ces domaines restent étroitement liés. L'étude théorique, comme l'établissent des corpus, peut être difficilement séparée de la pratique. Par définition, c'est bien la mémoire du musicien qui détient et conserve les méandres comme les secrets de cette musique de transmission orale. C'est bien lui en définitive qui en est le révélateur et la pierre angulaire avec toutes les vicissitudes que comporte l'héritage de l'oralité. Car ici le mécanisme de passation échappe toujours. La nécessité en contrepartie, de recourir à l'écrit comme moyen fixe et intangible de préservation est devenu un mot d'ordre suivi tant bien que mal, tout au long de ce siècle avec des résultats divers. Mais l'interprète y ajoute ce je ne sais quoi qui ne peut être transcrit et qui ne sied qu'à lui: sa vision des choses, son timbre particulier, sa chaleur communicative sa fougue ou son secret. Simultanément, grâce à la redécouverte et la réédition des vieux 78 tours dont Paris est devenu ces dernières années une figure de proue, on est désormais en mesure de réentendre des voix légendaires, et de les comparer à celles de la génération actuelle. En général ce genre de jeu penche toujours en faveur des vieilles cires, mais cette confrontation dévoile en quoi les voix diffèrent et pourquoi elles diffèrent. Par exemple l'algérois Mohammed Sfindja au début de ce siècle était le dépositaire le plus sûr du patrimoine algérien andalou. Il vient d'être ressuscité par le moyen du disque. Mais il est automatiquement confronté à des oreilles contemporaines autres où se profile à l'horizon la montée d'une nouvelle génération dont l'approche n'est pas pareille et dont la figure la plus prometteuse est sans conteste celle de l'algéroise Beihdja Rahal. Entre la voix de Sfindja du début du siècle et celle de Beihdja Rahal sur la fin de celui-ci, la différence est grande. Alors que le premier, grâce aux 78 tours enregistrés peu avant sa mort survenue dans la première décennie, apparaît comme une voix âpre, peu préoccupée d'esthétique, davantage formaliste, soucieuse de délivrer le répertoire tel qu'en lui-même, celle de Beihdja Rahal apporte ce que tout auditeur de la fin de ce siècle recherche inconsciemment : le fait d'être ému. Ce qui manquait sans doute à Sfindja, la dimension esthétique devient la raison d'être de la démarche de Beihdja Rahal. Et c'est ici que les choses changent: Au document précieusement conservé, il y a à présent un souci net d'insuffler à ce répertoire quelque chose qui en fasse un art authentique et véritable, c'est à dire de montrer sa plénitude et sa beauté, et c'est ce à quoi Beihdja Rahal tend aujourd'hui. Car au-delà des problèmes techniques que pose I'interprétation de la Nouba, la musique arabo-andalouse, s'inscrit désormais sous l'emblème du beau et désormais se doit d'assumer la personnalité de son interprète. Ce qui surprendra également cette évolution à travers ce vingtième siècle est le passage, de la voix masculine à la voix féminine ou plutôt la réapparition de voix féminines dans des domaines où on n'a guère l'habitude de les rencontrer, sauf exceptionnellement. Cette question n'a jamais été formulée par les rares écrits concernant le partage des tâches à ce niveau. Par une sorte de consensus, il a été de coutume d'accorder à la voix masculine une prééminence au sein de la tradition arabo-andalouse. C'est par l'interprétation masculine que nous est parvenu, l'essence même de ce répertoire. Il faut toutefois rappeler qu'à l'époque d'al-Andalus, les musiciennes prenaient une part considérable à l'activité musicale. Comme il a été dit à différentes reprises dans les écrits de l'époque, Séville a constitué un marché florissant d'esclaves musiciennes où venaient se ravitailler non seulement les habitants d'al-Andalus, mais également ceux des pays d'Afrique du nord, vraisemblablement les voix féminines dominaient dans l'interprétation. Quant aux hommes, ils avaient davantage la responsabilité de la composition musicale, toujours selon ces mêmes informations lacunaires mais précieuses, qui nous soient parvenues. Et si en outre on feuillette l’œuvre du compilateur syrien al-Cumari qui a vécu au XIVe siècle et qui est l'auteur d'un ouvrage intitulé Masalik al-absar fi mamalik al-amsar (Routes vers la pénétration des capitales de l'empire), où un volume entier de cette énorme encyclopédie historique, concerne la pratique musicale, on sera de nouveau surpris par l'importance prise par la musicienne. Ce livre est rédigé dans l'esprit même de celui d'al-Isfahani Kitab al-aghani (Livre des chants) et en constitue sa suite logique. Tout se passe comme si al-Cumari avait réactivé ce dernier, le mettant à jour, l'augmentant de témoignages plus contemporains. L'on s'aperçoit ainsi que l'importance des femmes reste prépondérante dans le cadre de l'activité musicale et que ces dernières ont loin d'avoir disparu en tant qu'instrumentistes et chanteuses. Un fait est du moins sûr: depuis plus d'un quart de siècle, il a été créé des chœurs mixtes pour l'interprétation du répertoire andalou, Ceux-ci se décèlent en peu partout en Afrique du nord. Parfois et dans le courant de l'interprétation d'une Nouba, il est concédé un court solo à une voix féminine ou masculine. Bien que timide, ces apparitions multiples ont transformé le timbre de la Nouba en la parant d'une couleur entièrement nouvelle. C'est ce qui ressort par exemple de l'ensemble algérois Es-Sendoussia. Il a déjà gravé des Noubas sur CD, et parmi les solistes à qui, il a confié quelques interventions ponctuelles, se reconnaît déjà la voix de Beihdja Rahal. Mais ici les choses changent car en montant au créneau en tant que soliste, en décidant d'interpréter vocalement une Nouba de bout en bout et dans sa totalité, Beihdja Rahal non seulement dame le pion au consensus traditionnel, mais elle déclenche une véritable révolution. De mémoire d'individu, on ne signale pas, par le passé, l'interprétation d'une longue Nouba confiée à une seule voix de femme. Qui plus est cette interprétation touche désormais tous les publics et ne se cantonne pas, comme autrefois, à un public déterminé, confiné à l'intérieur des maisons, lors des mariages où l'on avait l'habitude de dispenser ce répertoire. On est donc en présence de la première dame soliste de la musique arabo-andalouse, qu'il faut saluer et qui a adopté en le portant à sa quintessence le style d'Alger: C'est-à-dire un style léger, hautement fleuri et enjolivé, qui porte au rêve, au vertige et à I'ivresse mystique. Pour la circonstance et pour les besoins de cet enregistrement de la Nouba Zidane, Beihdja Rahal s'est entourée de quatre instrumentistes qui forment son ensemble: deux joueurs de luths (oûd), composés de Hamma Nadji et Aouissi Kamel, d'un violoniste Abdessemed Smaïl et d'un percussionniste maniant la derbouka et le tambour sur cadre (tar), Mansour Nabil. Bien entendu elle les accompagne de sa kuitra. L'enregistrement que propose ce disque est entièrement dévolu à la Nouba Zidane. Cette Nouba avait pour caractéristique d'être jouée en pleine nuit. Elle est considérée comme l'une des plus importantes du patrimoine algérien. C'est cette Nouba qu'a inspiré Camille Saint-Saëns lors de sa composition de la "Bacchanale" de Samson et Dalila. Beihdja Rahal et son ensemble donnent à entendre la version des mouvements suivants: 1 . Touchiya Zidane Christian Poché
9. Insiraf Zidane: Ya kamil al-maâni (Toi aux qualités parfaites) Toi aux qualités parfaites, ma liaison avec toi est mon remède
10. Insiraf Zidane: Touiyari mesrar (Mon oiseau est plein de grâce) Mon petit oiseau est plein de grâce
11. Khlass Zidane: Ama tetaki al-Lah (Ne crains-tu pas Dieu) Ne crains-tu pas Dieu, toi qui fait souffrir mon cœur?
Traduit de l'Arabe par Ahmed Sefta |
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